De plus en plus d’étudiants ou de jeunes actifs me demandent des conseils pour travailler dans la finance éthique, à la Nef et/ou plus généralement dans “un travail qui a du sens”.
Après avoir répondu bien volontiers par mail, téléphone ou déjeuné avec plusieurs d’entre eux, je me rends compte qu’un article me forcerait à aller plus loin dans la réflexion que la réponse spontanée. C’est un article que j’aurais bien aimé avoir quand j’ai commencé mes recherches professionnelles, il y a 16 ans (argh!).
Rapidement, qu’est-ce qu’un “travail qui a du sens” pour moi et ceux que j’ai rencontré? En général, cela veut dire que l’activité professionnelle réalisée (en salariat ou en entrepreneuriat) est liée à des impacts positifs significatifs au niveau écologique, social et/ou culturel. D’autre part que le but de l‘activité n’est pas de maximiser la rentabilité mais bien les impacts pré-cités. La finalité du projet n’est pas confondue avec un moyen (le capital financier à maximiser).
Je parle principalement de secteurs marchands, pour des publics type écoles de commerce / facultés éco-gestion / écoles d’ingénieurs, même si mes conseils pourraient sans doute s’élargir à d’autres. J’ai bien conscience qu’il y a bien d’autres emplois qui ont du sens, que ce soit par leur destination (ex : secteurs médicaux et para-médicaux, les services publics, etc.) ou selon l’engagement subjectif de chaque personne dans son métier, peu importe sa destination initiale.
Je traite cette question à travers mon parcours, mes rencontres, mon expérience et mes lectures. J’essaye d’en tirer une méthode avec des actions concrètes à réaliser, car j’ai pu mesurer leur efficacité et je les crois en bonne partie généralisables. Si plusieurs points semblent de bon sens, ce sont pourtant des étapes souvent négligées et très efficaces. Evidemment, ce n’est pas une formule magique qui marche à tous les coups, pour tout profil et toute entreprise. J’ai suivi un certain parcours qui biaise nécessairement ma vision, côté classes prépa / écoles de commerce / cabinets de conseil.
Les places dans des entreprises de l’ESS sont encore peu nombreuses, et il faut comme partout ailleurs de la chance. L’idée est ici d’améliorer les probabilités. Enfin, après environ 10 ans d’expérience professionnelle, je ne prétends pas avoir tout compris et apporter une réponse définitive. J’ai illustré au maximum mes conseils avec mon parcours personnel. Je serai ravi de continuer à échanger avec ceux qui ont des questions plus précises (et/ou une vision différente) dans les commentaires, sur financeethique.eu@gmail.com ou Twitter : @OlivierTorrente
Voici mes 7 points clés pour trouver ce fameux “travail qui a du sens” :
- Rencontrez des gens qui travaillent dans les secteurs/postes qui vous intéressent (j’ai le sentiment que c’est peu ou pas assez fait, notamment par timidité / peur de déranger, alors que c’est plutôt facile et très efficace)
- Lisez, informez-vous sur votre sujet, sur les entreprises que vous visez, sur les gens que vous voulez contacter (là aussi, trop peu de personnes « font leurs devoirs », et les rares qui le font se placent rapidement au-dessus des autres)
- Investissez-vous de manière bénévole dans les secteurs /acteurs qui vous plaisent : le terrain sera le parfait complément à vos lectures, qui peuvent rester théoriques ou désincarnées.
- Ecrivez sur ce qui vous intéresse : d’une part pour mûrir votre réflexion (ex : un fichier word personnel), d’autre part pour générer des opportunités et travailler votre crédibilité (créer un blog, des articles medium, etc.)
- Pour commencer votre carrière, l’essentiel est d’apprendre vite des compétences pertinentes et de vous constituer un réseau pertinent, peu importe si c’est dans l’ESS ou non
- Définissez vos objectifs financiers et professionnels à moyen et long-terme :
- afin de savoir ce que vous pouvez accepter ou non en entrant dans ces métiers qui sont encore en moyenne moins rémunérés.
- afin d’évaluer les évolutions possibles après votre premier poste. Discutez-en clairement avec votre recruteur pour limiter les frustrations d’évolution et de rémunération dans les années suivantes.
- Si vous choisissez le secteur classique pour démarrer, méfiez vous du « piège de l’optionnalité » ou syndrome du « je me garde systématiquement le poste qui me garde le plus de portes ouvertes sans jamais vraiment choisir ce que j’aime »
Rencontrez des gens qui travaillent dans les secteurs/postes qui vous intéressent
On va passer vite, mais c’est quand même la base qui me semble négligée par trop de personnes. Allez voir les gens qui travaillent là où vous voudriez aller, vérifiez que vous aimeriez travailler avec/pour eux. Il y a des cultures d’entreprises particulières, et même dans l’ESS il y a des burn-out et des environnements nocifs. Au-delà de ces cas extrêmes, cela permet de valider (ou non) votre intérêt, et souvent d’être aiguillés par des personnes qui savent de quoi elles parlent.
C’est d’autant plus important lorsque l’on démarre. On a une volonté d’avoir un impact, on a des sensibilités soit sur des causes (santé, écologie, culture, etc.) soit sur des secteurs (finance, alimentation, etc.), mais notre carte des possibles est très réduite et souvent peu précise voire erronée. Par exemple, j’ai toujours eu un attrait pour la finance, avec ses effets de leviers et sa capacité de transformer fortement la société. Lors de mes études, la tendance était au microcrédit (Muhammad Yunus / Grameen Bank) . Mais en contactant plusieurs personnes du secteur, on m’a davantage expliqué le travail concret demandé, et l’évolution du secteur qui n’était pas forcément positive. Ce qui me paraissait comme un secteur très prometteur et à fort impact et une piste importante pour mon avenir pro s’est dégonflée rapidement, et sans doute pour mon bien. Savoir ce que vous ne voulez pas vous rapproche de ce que vous voudrez. Cela m’a recentré sur la France et en particulier la Nef.
Dans les rencontres, viser des personnes qui sont 5 / 10 / 15 ans avant vous dans leur carrière, qui peuvent vous indiquer les différentes étapes à franchir pour atteindre l’équivalent de leur poste s’il vous plaît. Le fait d’échanger avec des personnes aux intérêts communs permet d’approfondir notre réflexion et de multiplier les opportunités de rencontres dans ces secteurs, qui encore aujourd’hui restent modestes en volume d’emploi. Il faut donc chercher à côtoyer ces personnes aux aspirations similaires au plus tôt. J’ai toujours vu les choses en termes de graines que je plantais. Cela n’apporte des fruits que bien plus tard, parfois jamais, mais en plantant chaque jour les récoltes seront croissantes au fil des ans. Et vous pouvez ensuite aider à votre tour ceux qui démarrent.
Côté pratique, pour prendre contact, un email personnel ou un message Linkedin sont des moyens efficaces. Quand vous contactez quelqu’un, je fais un rappel qui visiblement n’est pas évident pour tout le monde : renseignez-vous avant ! Passons donc au point suivant :
Lisez, informez-vous sur votre sujet, sur les entreprises que vous visez, sur les gens que vous voulez contacter
Lire par exemple le site internet de la Nef permet de répondre à de nombreuses questions, et ainsi d’aller sur des interrogations plus précises et à plus forte valeur ajoutée lorsque vous êtes au téléphone ou en face à face. Vous évitez ainsi d’agacer votre interlocuteur qui doit répéter la page d’accueil de son site (vécu plusieurs fois), et vous donnez une meilleure image de vous-même.
Dès le mail d’introduction, vous devez montrer que votre intérêt est réel. Une preuve d’intérêt réel est par exemple le fait de pouvoir mentionner au moins un exemple de ce qui vous intéresse dans l’entreprise de la personne contactée. Idéalement, vous devez montrer des actions entreprises dans votre démarche (j’ai choisi une spécialisation “ESS”, j’ai écrit un article, j’ai rencontré telle personne qui m’a orienté vers vous, etc.).
Investissez-vous de manière bénévole dans les secteurs qui vous plaisent.
Cela permet de faire de nouvelles rencontres, de vérifier votre goût pour la cause, le secteur, les publics, et/ou les entreprises/associations en place. Faire est évidemment très différent de lire ou de discuter, et cela débloque souvent beaucoup de réflexions. Être sur le terrain, surtout quand on est un jeune idéaliste, est extrêmement bénéfique !
Pour ma part, intégrer une Cigales (Club d’investisseur pour une gestion alternative et locale de l’épargne solidaire) et rencontrer des porteurs de projets a été (et reste) une expérience très utile. Surtout dans la finance où règnent souvent les chiffres et les ratios abstraits sur son écran d’ordinateur. Devenir sociétaire bénévole pour la Nef m’a également permis de mieux connaître l’entreprise que je souhaitais rejoindre, rencontrer ses salariés et confirmer mon choix, tout en effectuant une mission socialement utile (promotion de la finance éthique par des conférences principalement).
Cela prouve également votre motivation et la sincérité de votre intérêt. Si vous êtes sincère dans votre démarche, vous sentez les personnes qui ne le sont pas. En travaillant à la Nef, je fais de temps en temps l’expérience de discours de la part de partenaires sur la RSE, le développement durable, les valeurs, le sens, à base d’exemples tirés par les cheveux ou mélangeant des concepts qui n’ont rien à voir (ex : “notre démarche RSE est fondée sur des valeurs, que nous partageons avec la Nef, comme l’éthique” – sic). Ca me fait fuir (et pas que moi!). Je préfère qu’on assume ses actions réelles, aussi petites soient-elles plutôt que de vendre une fausse personnalité ou culture d’entreprise « verte » ou « avec du sens ». Si vous ne faites jamais de terrain, vous pouvez ne jamais vous en rendre compte.
Ecrivez
A minima, un fichier personnel sur word pour vous-même afin de progresser dans votre réflexion, prendre des notes de vos lectures et rencontres, faire des scénarios et comparer leurs avantages/inconvénients. L’écrit vous permet d’abord d’approfondir votre réflexion et d’arrêter de ressasser les mêmes idées avec vos amis ou vos collègues.
Idéalement, un blog ou des articles sur medium pour creuser et prouver votre intérêt (ex : fiches de lecture, revue de presse, entretiens, témoignages, etc.) Cela vous permet de bâtir un début de crédibilité et/ou de preuve d’intérêt sincère dans votre secteur. Très peu de personnes le font, c’est gratuit ou très peu coûteux. Vous attirez également des personnes qui s’intéressent aux mêmes sujets que vous. C’est d’ailleurs pour ces raisons que je me remets à publier après un peu plus de 2 ans de pause sur ce blog. Voilà rapidement mon expérience :
J’avais commencé des blogs en tant qu’étudiant sur des sujets très divers, mais pas en lien avec la finance éthique. Après un peu plus d’un an dans mon cabinet de conseil, en janvier 2012, j’ai franchi le pas (sur blogspot, c’était un peu moins joli !). Il n’y avait pas de calculs derrière ce blog : j’étais juste passionné par la finance éthique en général et le projet de la Nef en particulier. Mon objectif était d’y travailler, mais je ne pensais absolument pas que cela m’aiderait à y parvenir. J’avais soif de connaissance, de comprendre, et quasiment personne n’écrivait dessus, ou alors se concentrait sur l’ISR principalement (Investissement Socialement Responsable), qui me semblait très critiquable tel que pratiqué.
Un an et demi après, en mai 2013, l’ISG m’a contacté pour m’envoyer le livre qu’ils publiaient avec FYP éditions, « Finance éthique : le grand malentendu », de Gaëtan Mortier, parce que je faisais partie des très rares personnes à écrire sur ce sujet. J’en ai fait une série d’articles quelques mois plus tard, et obtenu les compliments de l’auteur (même si j’avais exprimé plusieurs divergences sur le fond).
Rien d’exceptionnel en soi, une bonne dizaine d’heures de travail investies, mais autant d’apprentissage et de réflexion accumulées et reconnues. Durant la vie active, on s’aperçoit rapidement que les exigences de l’urgent/important réduiront drastiquement ce temps de réflexion et de capacité de produire du contenu, quel que soit son poste.
Je ne vais pas détailler tous les autres « bénéfices » que j’en ai tiré, mais le fait d’avoir écrit régulièrement sur ce sujet m’a soit permis d’être contacté par des personnes du secteur, soit d’en contacter et d’obtenir des entretiens beaucoup plus facilement que sans. Au-delà des articles de blog, tout est matière à produire du contenu sur ce qui vous intéresse et générer des opportunités. Par exemple, j’ai écrit un long article dans le magazine des sociétaires de la Nef lorsque j’étais bénévole, ce qui m’a valu de nombreux retours d’autres sociétaires mais aussi un entretien avec des salariés.
Aujourd’hui, des gens comme Sauce Writing en France ou David Perell aux Etats-Unis promeuvent fortement cette idée de l’écriture comme outil de carrière primordial.
D’ailleurs, si vous êtes motivés pour écrire sur les sujets que j’aborde, contactez-moi!
Pour commencer votre carrière, l’essentiel est d’apprendre vite des compétences et connaissances réexploitables, et de vous constituer un réseau pertinent
La question qui m’a le plus occupé en école était : faut-il commencer directement dans l’ESS ou passer d’abord dans le « classique » ?
Aujourd’hui, ma réponse se formulerait différemment. Il faut viser un début de carrière qui maximise l’apprentissage (du secteur visé, de compétences clés) et la rencontre de personnes avec des aspirations similaires (pour votre secteur, l’ESS ou un autre critère comme la volonté d’agir par une structure en particulier comme une association), peu importe si c’est dans l’ESS ou dans la voie classique.
Parmi les 3 principales voies que j’identifie :
- entreprendre (dans l’ESS évidemment),
- travailler dans le secteur classique,
- travailler directement dans l’ESS,
l’important est de remplir ces 2 critères.
J’ai pour ma part choisi de commencer dans la voie classique (Audit chez Ernst & Young, Banque d’Investissement chez BNP Paribas, puis Conseil en stratégie et organisation chez Exton Consulting, spécialisé dans les services financiers). Un des conseils qui a notamment fait la différence est celui d’un membre du Conseil d’Administration de CARE France (dont je n’arrive pas à retrouver le nom…), venu à une conférence sur le campus d’HEC pour la majeure Alternative Management en 2009/2010. En substance, ne venez pas directement dans une ONG ou un acteur de l’ESS avec vos deux stages et votre bonne volonté, allez travailler chez des acteurs classiques de référence dans le domaine qui vous plaît pendant quelques années, et venez apporter ensuite ce qui manque encore souvent dans l’ESS, des compétences et de l’expérience.
J’en suis très content aujourd’hui pour deux raisons :
- j’ai appris énormément dans le secteur qui me plaisait, et acquis des compétences importantes dans de nombreux métiers (Excel, communication écrite et orale, analyse de données, de processus, marketing, etc.),
- j’ai rencontré des personnes du secteur, le plus souvent dans le secteur classique mais aussi quelques-unes dans l’ESS (exemple d’une mission pro bono d’Exton avec le Rameau pour Initiative France), avec qui je peux toujours échanger de manière enrichissante
Pour moi, c’est une voie assez sûre et avec un certain confort (rémunération en moyenne la plus élevée des 3 voies). Surtout, cela assure un rythme d’apprentissage généralement soutenu. On peut le voir comme une manière de détourner la pression actionnariale sur les salariés en exigence et opportunité d’apprendre vite. Cette pression est selon moi moins présente en moyenne dans le secteur de l’ESS, de par la moindre pression des actionnaires / sociétaires / parties prenantes, et de niveaux de rémunération inférieurs qui freinent en général les Directions. Cela ne signifie pas qu’elle y soit absente ni qu’il y ait des cas de burn out par exemple.
Dans le cas du Conseil que je connais le mieux, vu le tarif à la journée de ces cabinets, vos clients (qui peuvent être de l’ESS) attendent plus de vous sur une durée réduite que beaucoup de leurs salariés, notamment sur des postes similaires type « chef de projet » qui peuvent être ouverts aux jeunes actifs. Il y a moins d’autonomie qu’un entrepreneur ou beaucoup de structures de l’ESS, mais un fort transfert de connaissance lié à l’encadrement important des chefs de mission.
Le rythme de travail n’est toutefois pas toujours sain à long terme, même si on peut y passer par ailleurs de très bons moments et nouer de belles relations. J’ai toujours eu en tête mon objectif initial de la Nef et de la finance éthique pendant mes premières années, et cela a été source de frustration (combien de temps à améliorer de quelques points de pourcentage le PNB ou le coefficient d’exploitation de banques qui détruisent notre planète ?) et d’espoir (il faut tenir, la récompense est à la fin). J’ai tenu 4 ans sur les 5 que je m’étais initialement fixés en sortie d’école, pas par épuisement mais plutôt par frustration/lassitude.
La rencontre avec des acteurs de l’ESS est structurellement moins importante que dans les 2 autres voies, mais elle peut très bien se faire sur votre temps libre. Vu que la tendance est désormais officiellement aux entreprises à mission et à la préservation du climat, vous pouvez même en faire sur votre temps pro (ex : pro bono, développer une spécialisation sur le sujet, etc.)
L’entrepreneuriat, que je connais moins directement, me semble a priori très riche en apprentissage et en rencontres, mais la contrainte économique, au moins à court-terme, est plus forte. La sortie d’école reste un bon moment car plus faible en contraintes (crédit immo, enfants, etc.) Cela peut également être très complémentaire après la voie classique si vous ne trouvez pas votre bonheur.
Commencer dans l’ESS directement a aussi ses atouts. Là encore je connais davantage par témoignages directs et pas par expérience directe. On peut avoir plus d’autonomie (notamment dans les petites et moyennes structures) et progresser plus rapidement. Les salaires sont plus faibles, parfois très sensiblement, et pour des jeunes diplômés la compétition y est donc moins « dure » que dans les classiques cabinets d’audit / conseil / banques d’affaires ou entreprises classiques lorsque l’on veut évoluer. Surtout, en fonction des besoins financiers et envies (début d’une vie de famille, crédit immobilier, voyage…), il devient dur de faire des sacrifices, même avec toute la bonne volonté de « trouver du sens ». A l’inverse, commencer dans du classique et s’habituer à un train de vie confortable augmente la barrière pour franchir le pas de l’ESS. Cf plus bas sur le piège de l’optionnalité.
J’ai remarqué que plusieurs étudiants me disaient que commencer dans le classique représentait une trahison et que ça leur coûterait de ne pas être tout de suite cohérent. Au-delà des éléments ci-dessus, je pense qu’il est intéressant de s’y frotter pour au moins goûter la différence une fois dans l’ESS. Cela évite aussi de fantasmer sur un ailleurs que l’on ne connaît pas lorsqu’on est déçu de son employeur ESS.
Dernier point si l’on commence dans l’ESS, il faut être vigilant à son rythme d’apprentissage. C’est l’inverse du point développé ci-dessus pour la voie classique : en général moins de pression, mais aussi potentiellement moins d’exigence et moins de transfert de compétences. La plus grande autonomie peut compenser, mais il faut alors être capable de s’auto-discipliner davantage. Cela peut être comparé selon moi à faire une classe préparatoire vs suivre les cours à l’université.
J’y ajoute des questions pertinentes à se poser, issues de cet article sur les effets de réseau :
- Est-ce un emploi dans la ville où je souhaite vivre à long-terme ? (en déménageant, on perd mécaniquement une part de ses amis et de son réseau)
- Est-ce que j’ai des aspirations similaires à mes futurs collègues?
- Ce n’est pas dans la voie classique qu’on rencontre – pour l’instant – le plus de personnes intéressées par l’ESS, mais dans le Conseil par exemple on rencontre des gens qui ont de l’ambition, qui veulent souvent participer au développement ou à la création d’entreprises en forte croissance.
- Est-ce que c’est un environnement où je peux nouer des relations de long-terme?
- Est-ce que les employés sont fiers de leur entreprise, gardent contact après leur départ ? (cf les réseaux d’alumni qui fleurissent)
- L’entreprise fait-elle chic sur mon CV ?
- Contrairement à l’article dont je l’ai tiré, j’ai quand même pris en compte ce critère, en allant chez Ernst & Young et BNP Paribas. C’était pour moi un moyen d’avoir des points de crédibilité vis-à-vis d’interlocuteurs « classiques » car je savais que j’allais aller rapidement dans l’ESS. Et je confirme que ça « rassure » certains de mes interlocuteurs hors ESS : à ne pas négliger donc.
- Niveau de rémunération
- Cela peut dépendre de son prêt étudiant notamment, chaque cas est différent. Mais clairement les deux critères que je mets en avant sont largement supérieurs, surtout en début de carrière.
Avant de franchir le pas, définissez vos objectifs financiers et professionnels à moyen/long terme afin de savoir ce que vous pouvez accepter et d’évaluer votre évolution possible
Quels sont mes besoins ? Envies ? Maintenant, mais aussi dans quelques années, avec famille et achat immobilier (ou autres objectifs, je prends le cas type le plus commun). Quelle est la politique et la trajectoire de l’entreprise et/ou du secteur que je veux rejoindre ? Des fonctions que je veux occuper ?
Lorsque vous passez des entretiens, imaginez les évolutions possibles après ce poste et discutez-en clairement avec votre recruteur pour limiter les frustrations d’évolution et de rémunération dans les années suivantes. Après avoir fait -50% sur mon salaire pour rejoindre l’entreprise de mes rêves, la Nef, et après les deux premières années enthousiastes, j’ai clairement senti la frustration salariale et d’évolution monter durant un an. J’ai pu évoluer, mais la chance aurait pu tourner d’un autre côté. Je me suis rendu compte que mon enthousiasme pour le projet était très fort, mais qu’il n’empêchait pas un petit goût désagréable. Je conseille de bien y réfléchir avant, même si rien n’est jamais garanti, afin de l’anticiper.
Enfin, méfiez vous du « piège de l’optionnalité » ou syndrome du « je me garde systématiquement le poste qui me garde le plus de portes ouvertes sans jamais vraiment choisir ce que j’aime »
J’ai côtoyé beaucoup de personnes qui ont “subi” le il faut faire «Bac S », la voie royale, celle qui permet ensuite d’aller dans les filières scientifiques, mais aussi dans les filières plus littéraires, bref de ne pas se fermer de portes. Il faut ensuite faire une classe préparatoire aux grandes écoles, puis une grande école. Mais on ne sait toujours pas ce qu’on veut faire. On va dans le conseil, cela reste généraliste, on découvre de nombreux secteurs, on apprend vite, on finira bien par trouver ce qu’on veut « vraiment » faire. Le risque, très bien décrit dans cet article, est de continuer sans cesse à choisir le non-choix, la voie qui conserve sur les côtés le plus d’embranchements.
La première question est : si l’on ne choisit jamais un chemin qui nous plaît vraiment, à quoi bon cheminer? Passer sa vie sur des chemins que l’on n’aime pas pour – peut-être, un jour – arriver sur un chemin que l’on aime vraiment, n’est-ce pas un risque trop grand pour notre unique vie? Voir notre vie (ici professionnelle) comme un système de routes avec des passages obligatoires, n’est-ce pas trop réducteur? Pour répondre comme le poète Antonio Machado : no hay camino, se hace camino al andar. No hay camino, sino estelas en la mar (Il n’y a pas de chemin, on fait le chemin en marchant. Il n’y a pas de chemin, juste un sillage dans la mer).
Mais moi-même, j’ai choisi cette voie, et jusqu’à présent je l’ai plutôt recommandée. La question cruciale devient : quand faire sa “conversion” vers le travail qui a du sens? Le problème est que plus c’est tard, plus c’est difficile.
D’une part, car la distance pour rejoindre l’ESS s’agrandit. La principale distance est financière, et a plusieurs conséquences. La première est tout simplement le salaire. Il n’est pas rare de diminuer de 50% son salaire pour trouver un poste qui nous plaît. C’est un sacrifice important et durable. L’écart avec ses camarades s’agrandit. Après quelques années, l’habitude d’un certain niveau de vie peut se créer, puis viennent les contraintes du crédit immobilier pour un habitat en accord avec le statut, ses camarades d’école, les enfants. « Moins combien de % tu disais ? »
La voie du non-choix est généralement à statut social plus élevé que dans l’ESS. Costume cravate, réunion avec des gens importants, avantages divers, séminaires, je suis très occupé, j’ai une semaine de dingue (même si on peut aussi le vivre dans l’ESS!), etc.
D’autre part, et plus profondément, notre identité ne sort pas indemne de la voie du non-choix. On assimile les codes et la pensée de nos pairs et de nos clients. On sort avec eux, on déjeune avec eux, on pense de plus en plus comme eux. On devient quelqu’un d’autre que ce qu’on voulait être au début. Sans bruit, sans crise, mais surtout sans choix conscient. Car si on peut toujours débattre de quelle est la meilleure vie, la vie bonne, si le « eux » ci-dessus n’est pas a priori moins bon que ceux qui font le choix du travail “avec du sens”, le problème est pour moi de ne pas choisir consciemment son parcours. Or les effets de contexte, de réseau, sont très forts, souvent beaucoup plus que ce qu’on ne l’imagine. Cet article en fait une liste impressionnante.
Il est donc très compliqué de conserver ses idéaux, sa volonté initiale. Choisir son environnement, ses débuts de carrière, c’est choisir – au moins en partie – celui ou celle que l’on va devenir. Le danger est de croire que l’on reste le même, que l’on se façonne délibérément alors qu’on est aussi façonné par l’environnement. La citation suivante de Nassim Nicholas Taleb, dans son discours aux jeunes diplômés de l’Université américaine de Beyrouth, me semble importante à conserver à l’esprit :
“For I have a single definition of success: you look in the mirror every evening, and wonder if you disappoint the person you were at 18, right before the age when people start getting corrupted by life. Let him or her be the only judge; not your reputation, not your wealth, not your standing in the community, not the decorations on your lapel. If you do not feel ashamed, you are successful. All other definitions of success are modern constructions; fragile modern constructions.”
« J’ai une seule définition du succès : vous vous regardez dans le miroir chaque soir, et vous vous demandez si vous décevez la personne que vous étiez à 18 ans, juste avant l’âge à partir duquel les personnes commencent à être corrompues par la vie. Laissez-la être votre seul juge ; pas votre réputation, pas votre richesse, pas votre statut dans la communauté, pas les décorations sur le revers de votre veste. Si vous ne vous sentez pas honteux, vous avez réussi. Toutes les autres définitions du succès sont des constructions modernes ; de fragiles constructions modernes. »N’hésitez pas à partager, commenter et taguer les personnes à qui vous pensez en lisant cet article. Je suis également disponible pour échanger sur le sujet et les autres de ce blog par email financeethique.eu@gmail.com
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