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Bienvenue aux “néobanques vertes”… mais attention au greenwashing !

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Les annonces de lancement de “néobanques vertes” se sont récemment multipliées (cf Les Echos et La Tribune). Ces articles se basent sur les déclarations de ces acteurs. Je vous propose d’abord de mettre en perspective leur apparition dans la transformation plus globale du secteur financier. Cette transformation vers un système plus vertueux et plus durable, sur laquelle tout le monde (au moins en paroles) s’accorde, et qu’ont initié depuis plus de 30 ans les banques éthiques. Nous verrons le rôle positif que peuvent jouer ces “néobanques vertes”. Puis nous irons creuser un peu plus leurs modèles, et découvriront pourquoi, aujourd’hui, ce sont surtout des exemples de greenwashing. C’est dommage, car nous avons besoin de plusieurs acteurs pour créer une émulation et changer le système financier rapidement.

[Avertissement : je suis Directeur Financier de la Nef, et donc nécessairement biaisé sur des acteurs qui se positionnent sur un discours très proche de celui la Nef et les autres banques éthiques. Je suis bien entendu preneur de commentaires pour enrichir l’article et relever d’éventuelles erreurs ou nuances à apporter. Enfin, cet article est purement personnel et n’engage en rien la Nef.]

Les acteurs pionniers de la finance éthique ne suffiront pas à transformer notre système financier : les échéances sont trop courtes, les montants en jeu trop grands

Les banques éthiques ne financent que des projets à impact positif, et publient tous les prêts qu’elles font pour apporter une totale transparence à leurs épargnants. Elles militent depuis plus de 30 ans pour changer le système financier et économique vers une approche plus écologique et sociale (plus de détails ici).

Mais la plus grande banque éthique en Europe, Triodos, a 12 milliards de bilan. Les grands groupes français sont entre 1 000 et 2 000 milliards. La Nef a aujourd’hui un bilan dépassant les 600 millions d’euros. Même si elle est en très forte croissance (plus de 450 millions d’euros collectés entre 2016 et 2020), ce ne sera pas suffisant non plus.

Il faut donc aussi transformer les gros acteurs en place. 

D’abord par la réglementation, car ils ne bougeront pas sinon. L’autorégulation et les beaux discours, dans un contexte de pression actionnariale pour le rendement maximum, montrent chaque jour leurs limites. De nombreuses pistes de réglementation sont proposées, par Finance Watch par exemple.

Mais aussi en utilisant leur intérêt, celui de leurs dirigeants et actionnaires. Si de meilleures pratiques, reprises notamment aux acteurs de la finance éthique, leur permettent de conserver des parts de marché, de continuer à vendre ou d’avoir une meilleure image, ils bougeront.

Or l’offre bancaire des acteurs en place est aujourd’hui très peu différenciée. Les arguments sans cesse répétés sont le prix ou le niveau de l’expérience client, en particulier lié à sa digitalisation. Ce sont des caractéristiques facilement copiables. Parallèlement, la conscience citoyenne sur les enjeux sociaux et écologiques progresse fortement. Après l’alimentation biologique ou l’électricité issue de sources renouvelables, la banque devient un enjeu pour les pratiques de consommation des citoyens engagés.

C’est ce qu’ont très bien compris les “néobanques vertes”. En reprenant la critique du système en place développée par les pionniers de la finance éthique et en proposant de nouvelles alternatives, ils provoquent davantage de couverture médiatique sur ces sujets essentiels mais peu mis en avant. Ils vont montrer dans le sillage des banques éthiques que des produits “verts” peuvent fonctionner commercialement, et donc éveiller l’intérêt des acteurs en place. Enfin, ils vont aiguilloner les banques éthiques actuelles, dont les offres sont aujourd’hui soit absentes soit insuffisantes. C’est donc a priori une bonne nouvelle pour la transformation du secteur financier.

Toutefois, ces acteurs sont aujourd’hui pris, à mon sens, en flagrant délit de greenwashing et de publicité mensongère. Ils entretiennent habilement la confusion sur leur activité. Simples courtiers revendant des comptes et cartes d’acteurs disposant eux d’un agrément bancaire, ils racontent qu’ils financent avec l’argent de leurs clients des projets à impact positif, et même souvent qu’ils sont des banques à part entière…

Nous verrons en détail (avec études de cas, bilans comptables et schémas à l’appui) comment réglementairement, comptablement et financièrement, ces promesses sont aujourd’hui trompeuses, et les “100% de votre argent va à des projets à impact positif” sont en réalité aujourd’hui plus proches des 4%… Leur modèle, en externalisant à leurs partenaires bancaires traditionnels l’activité à principale valeur ajoutée, le financement de projets, me semble très limité pour les défis actuels. Mais ils ont très certainement la capacité, et j’espère la volonté, d’aller plus loin que leurs premières annonces, afin de constituer de vrais acteurs de la finance éthique et contribuer à de vrais changements profonds de notre système. Nous en avons besoin. Il y a de la place pour plusieurs acteurs qui doivent entretenir une saine émulation au bénéfice de l’intérêt général.

Comme pour le marché de l’électricité, l’émergence de ces acteurs devrait aboutir rapidement à un classement mené par les ONG vigilantes pour aider les citoyens à mieux se repérer entre les offres “vraiment vertes” et les autres.

Zoom sur les « néobanques vertes« 

Nous allons désormais creuser le modèle des “néobanques vertes”. Mon accusation de greenwashing repose sur 4 principaux arguments, que je vous synthétise ici, et que nous creuserons par la suite :

Reprenons d’abord la définition de Novethic : “Le greenwashing (éco-blanchiment) est une méthode de marketing consistant à communiquer auprès du public en utilisant l’argument écologique. Le but du greenwashing étant de se donner une image éco-responsable, assez éloignée de la réalité… La pratique du greenwashing est trompeuse et peut-être assimilé à de la publicité mensongère.”

  • Ces néobanques entretiennent la confusion sur leur activité, et laissent entendre qu’elles sont des acteurs bancaires pouvant investir les fonds de leurs clients dans des projets “verts”, ce qui n’est pas le cas
    • L’activité réelle de ces “néobanques vertes” est celle d’intermédiaire, revendeur de cartes et comptes de paiements d’autres structures qui elles disposent d’agrément bancaire et de la capacité d’utiliser l’argent des clients finaux
    • Elles dépendent donc de ces fournisseurs bancaires qui n’ont pas de politique d’investissement particulièrement “verte” et ne s’en cachent d’ailleurs pas (ex : Société Générale, SolarisBank)
    • L’argent dans des banques éthiques est géré par les banques éthiques, qui décident ce qu’elles en font, en l’occurrence financer des projets à impact positif en toute transparence. Les néobanques dépendent elles du bon vouloir de leurs partenaires.
  • Il est comptablement impossible de dire que l’argent fourni par les clients de ces néobanques sera utilisé pour des projets à impacts
    • La promesse de ces acteurs est qu’aucun euro déposé ne sert à des industries fossiles, et que chaque euro va à des projets verts ou à impact positif.
    • Mais l’argent est fongible, et vous ne pouvez pas isoler dans un bilan bancaire tel euro de ressource vers tel euro de prêt. Si vous déposez de l’argent dans une banque, vous contribuez à financer l’ensemble de son bilan, tous les projets, qu’ils soient positifs ou non. Pas le petit bout “vert” que vous aimeriez isoler.
    • Concrètement, une toute petite partie des fonds fournis par les clients de ces néobanques servira à des projets à impact. Pour Tomorrow, qui utilise SolarisBank (tout comme au moins une autre néobanque française), on peut faire une première estimation à moins de 4% des fonds des clients allant dans le green bond cité. Le gros de l’argent est en réalité notamment placé à la Banque Centrale (Allemande probablement) et dans des titres de dette d’Etats.
  • Il est réglementairement impossible d’utiliser tout l’argent des clients de ces néobanques dans des projets à impact
    • Les banques partenaires de ces acteurs doivent respecter des contraintes réglementaires : ratio de liquidité, réserves obligatoires à la banque centrale, etc. qui empêchent complètement de dire “tout votre argent va dans des projets”
    • C’est impossible même pour les banques éthiques présentes depuis 30 ans, avec agrément bancaire, capacité de prêter et un militantisme à toute épreuve.
    • Nous verrons en détail le cas de Tomorrow qui s’appuie sur son partenaire Solaris Bank, puis rapidement les autres acteurs français
  • Il est financièrement impossible d’utiliser tout l’argent des clients de ces néobanques dans des projets à impact
    • Principalement, si des clients vous confient de l’argent sur un compte de paiement et qu’ils peuvent le retirer à tout moment, vous n’allez pas vous amuser à l’investir dans des projets d’énergie renouvelable à 15 ou 20 ans : vous devez gérer votre risque de liquidité. C’est d’ailleurs une des raisons qui justifient les réglementations vues ci-dessus. 
    • Concrètement, vous garderez donc cet argent principalement à la Banque Centrale ou sur des comptes bancaires à vue vous permettant de récupérer l’argent rapidement.
    • Or justement les banques centrales sont accusées de trop financer les entreprises polluantes dans leurs rachats d’obligations massifs initiés lors de la crise de 2008 et accélérés par la crise Covid. Et sur les autres comptes à vue dans d’autres banques, vous perdez la traçabilité et l’impact positif promis…
    • Ce système incite donc à encourager des financements de court-terme, à rebours des investissements de long-terme nécessités par la transition écologique et sociale
  • Les actifs financés in fine par les banques partenaires des “néobanques” sont des actifs déjà largement financés par les marchés et/ou la Banque Centrale Européenne, pas ceux qui en ont le plus besoin, comme les projets locaux de TPE/PME à impact.
    • Pour des raisons réglementaires ou de gestion de leur liquidité, les partenaires bancaires sélectionnés vont privilégier des entreprises cotées, qui sont déjà très bien financées
    • Les banques éthiques comme la Nef en France financent à l’inverse beaucoup plus les projets à fort impact et qui manquent de financement (50% de créations d’entreprises pour la Nef). Finansol écrit ainsi dans son dernier rapport “Via les ressources collectées, 38 financeurs et fonds solidaires ont investi 251 M€ (+23 %) dans des associations et entreprises à forte utilité sociale en 2019. Ces investissements sont effectués par des acteurs variés comme les grands financeurs solidaires, la Nef loin en tête, ou les gérants de fonds solidaires, via leurs FPS (Fonds Professionnel Spécialisé) qui centralisent les investissements solidaires des fonds « 90-10 ».”

Nous pouvons passer désormais au détail de ces points.

Tout d’abord, qu’est-ce que ces “néobanques vertes” annoncent?

“Compte à impact positif”, “alternative bancaire durable”, “citoyen, durable et éco-responsable”, “néobanque verte”, “financer uniquement la transition écologique”, etc.. La liste des promesses est longue, et laissent croire que ce sont des banques. Le premier acteur à s’être lancé sur le créneau, Tomorrow (en Allemagne), a des ambitions en France.

Le premier point à éclaircir est celui de “néobanque”. Popularisé par des acteurs comme N26 ou Revolut sur le marché des particuliers, il s’agit d’acteurs avec des agréments très légers, au moins à leurs débuts, de simples courtiers ou équivalent. Concrètement, ils n’ont pas d’agrément bancaire ni même d’établissement de paiement, et gèrent simplement une application mobile et un service client.

L’émission de la carte, la gestion du compte, les responsabilités réglementaires comme le contrôle du dossier client (Lutte contre le Blanchiment et le Financement du Terrorisme par exemple) et surtout l’utilisation de l’argent des particuliers restent à la charge de leur partenaire qui dispose de l’agrément. Tomorrow est ainsi partenaire de Solaris Bank, en Allemagne. C’est également le partenaire choisi par au moins un autre acteur pour se lancer en France, tandis qu’un autre a choisi Treezor, filiale de la Société Générale.

Lorsque ces acteurs disent être “agréés par l’ACPR” par exemple (Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution), en réalité elles sont agréées le plus souvent comme agent de leur partenaire. Ce sont des intermédiaires, qui ont le droit de vendre leurs produits, en l’occurrence des comptes et cartes de paiement.

L’argent déposé par les clients n’est donc pas géré par ces “néobanques”, mais par leurs partenaires, ou les partenaires de leurs partenaires. Pour un des acteurs, les fonds sont gérés par Treezor, qui est établissement de paiement, qui doit déposer les fonds dans une banque, en l’occurrence la Société Générale. Pour Tomorrow, les fonds sont gérés par Solaris Bank.

Concrètement, cela donne par exemple :

C’est la première grande différence avec un acteur comme la GLS ou Triodos en Allemagne, ou la Nef en France. L’argent dans des banques éthiques est géré par les banques éthiques, qui décident ce qu’elles en font, en l’occurrence financer des projets à impact positif en toute transparence. Les néobanques dépendent elles du bon vouloir de leurs partenaires.

Si nous regardons le cas de Tomorrow, ils dépendent de Solaris. Or Solaris est un acteur qui n’a aucune prétention sur leur éthique. Ils ont été fondés par Finleap, une entreprise qui crée des sociétés financières (“fintech”) et veut “révolutionner le secteur par la technologie”. Si on regarde Solaris, ses actionnaires sont des grands noms de la finance classique : BBVA, ABN-AMRO, VISA, etc.

Le deuxième point concerne l’utilisation des fonds elle-même : pour justifier leur promesse, ces acteurs expliquent financer des projets à impact positif et exclure les secteurs les plus polluants. Problème, c’est impossible pour des raisons comptables, financières et réglementaires.

En effet, l’argent, notamment dans un bilan bancaire, est fongible. Vous ne pouvez pas dire tel euro déposé par tel client (au passif de la banque), va exclusivement dans tel compte tout vert (à l’actif de la banque). C’est comptablement impossible. L’ensemble des ressources du passif (compte courant, livret, obligations, actions, etc.) financent l’ensemble de l’actif (prêts aux entreprises, immobilisations, trésorerie, etc.).

Concrètement, lorsque des clients (par exemple de ces comptes de paiement) augmentent leur solde, l’argent va être enregistré au passif de la banque, comme une ressource utilisable, et à l’actif va se déposer dans la trésorerie de la banque. Celle-ci va ensuite décider de l’utiliser comme bon lui semble, ou de la conserver en trésorerie. Mais c’est impossible de dire qu’il va servir précisément à tel ou tel prêt.

Ce principe n’est pas propre aux banques, il suffit de réfléchir lorsque vous recevez votre salaire. Est-ce que vous pouvez dire que tel euro de votre salaire ou revenu va financer le loyer, et tel euro les sorties au restaurant ? Non. Vous pouvez faire un budget, imaginer des “comptes” séparés entre les dépenses forcées (loyer, crédit immobilier, électricité, etc.) et ce qu’il vous reste de disponible. Mais cela reste une représentation que vous vous créez.

Cet argent va financer l’ensemble des actifs de la banque qui détient ces fonds. Il faut donc bien analyser l’ensemble des activités d’une banque quand on veut mettre en avant son côté “vert” ou “éthique”. Sinon, on se focalise sur la cerise, la petite activité verte, au détriment du gâteau, la grosse majorité des financements. Il n’y a alors aucune cohérence dans le projet.

La solution qu’apportent les banques éthiques à cette limitation comptable, c’est la recherche de la cohérence maximale, ne financer que des projets à impact, pour que l’ensemble de l’actif soit vert, et pas qu’un petit bout. Or les banques qui vont gérer ces fonds pour les néobanques “vertes”, aujourd’hui Société Générale (SG) et Solaris Bank, ne sont aujourd’hui pas des banques éthiques qui ne financent que des projets à impact positif, ni des banques qui permettent de savoir ce qu’elles financent. Je ne m’attarde pas sur la SG, de nombreuses ONG comme les Amis de la Terre ou Oxfam analysent ses financements et disent ce qu’elles en pensent.

D’après son site Internet et son bilan, Solaris, qui est une entreprise à but lucratif et en très forte croissance, a surtout pour ambition de développer ses activités et n’a pas de politique de placement particulièrement verte. En revanche, elle est disposée à acheter une obligation “verte” (“green bond”) et à laisser dire à ses clients néobanques que les fonds de leurs clients particuliers ne servent à financer que ces obligations vertes. Nous verrons plus en détail son bilan ci-dessous.

Sur la définition du green bond ou obligation verte. C’est une obligation qui est censée financer uniquement des projets écologiques, en répondant à un cahier des charges, et qui doit être contrôlé. Comme expliqué plus haut, c’est impossible comptablement et financièrement. Mais même si l’on regarde le concept de base, de nombreux articles pointent le greenwashing, faute de rigueur dans les contrôles et de standards communs aux différentes entreprises et banques qui en émettent : “worst examples of greenwashing are in green bonds”, “les green bonds sont-ils aussi verts qu’ils en ont l’air?”, “les entreprises qui lancent des « green bonds » sont aussi souvent de gros émetteurs de CO2”, etc.

La deuxième raison est financière, et porte sur ce qu’on appelle en banque la “gestion actif-passif”. 

Nous avons expliqué que comptablement il était impossible de tracer un euro reçu vers son utilisation, et regardé l’exemple d’un particulier. On peut néanmoins essayer de voir quel argent va vers quelle utilisation, approximativement, en regardant les horizons de temps de l’argent utilisé.

On peut ainsi dire que votre crédit auto à 5 ans finance votre voiture que vous allez utiliser environ 5 ans, ou que votre crédit immobilier sur 25 ans va financer votre maison. Cela reste un ordre de grandeur (on utilise une voiture souvent bien après l’amortissement du crédit, et on rembourse souvent le crédit immobilier avant d’avoir fini de le rembourser, car on achète un autre bien par exemple). 

De même pour une entreprise. Si nous prenons l’exemple du développement d’une entreprise de maraîchage biologique, financée par la Nef récemment à travers 2 prêts :

  • un pour l‘achat de terres agricoles, sur 120 mois soit 10 ans, des éléments qui vont servir à l’exploitation de l’entreprise pendant longtemps
  • L’autre pour acheter du matériel agricole, sur un délai plus court de 78 mois soit 6 ans et demi, car il faudra probablement le renouveler à ce moment-là.

A chaque horizon d’utilisation, un crédit.

Extrait de la liste des prêts de la Nef 2018. La Nef est le seul établissement français à publier l’intégralité des prêts qu’elle réalise, afin de permettre à ses épargnants de savoir où va leur argent

Comment fait alors une banque pour prêter à des horizons de 6 à 10 ans, alors qu’en général ses dépôts sont à plus court-terme (compte courant, livret d’épargne, etc.)?

Le métier traditionnel d’une banque, c’est de gérer l’écart entre les ressources que lui apportent des clients, à court-terme (votre compte courant, livret d’épargne, etc.), que vous pouvez retirer à tout moment, et les prêts qu’elle réalise, en général à moyen et long terme (crédits d’équipement pour les entreprises, crédits immobiliers pour les particuliers par exemple). Les taux à long-terme étant en général plus élevés que ceux à court-terme, la banque se fait une marge.

Mais elle doit faire très attention : si ses épargnants lui confient 100 millions dans des comptes courants et qu’elle prête 100 millions à des entreprises, pour des investissements à 7 ans, elle se retrouve avec 0 en trésorerie. Et si une partie de ses épargnants veut alors retirer de l’argent (pour acheter sa maison, payer ses vacances, etc.), alors elle se retrouve à court de liquidité. C’est le point faible visé par Eric Cantona quand il demande aux citoyens de retirer brusquement leur argent des banques 😉

C’est pour cela que les banques conservent en permanence un matelas de liquidités, dans d’autres banques ou à la banque centrale par exemple, ainsi que des obligations d’Etat qu’elles savent pouvoir vendre immédiatement et à bon prix sur les marchés. C’est même une obligation réglementaire, la “réserve de liquidité”. Celle-ci doit comporter des “Actifs liquides de haute qualité”, principalement des obligations d’Etats, et un peu d’obligations d’entreprises très solvables. Chaque mois, les banques comme la Nef doivent déclarer un “Liquidity Coverage Ratio” (Ratio de couverture de la liquidité), qui mesure leur capacité à faire face à une crise de liquidité sur 1 mois.

VIsion schématique : une banque ne peut pas prêter tout l’argent qu’elle reçoit, pour des raisons de bonne gestion et des contraintes réglementaires complètement justifiées

L’argent de compte de paiement, de livrets d’épargne de la Nef ou d’ailleurs ne peuvent donc jamais financer à 100% des projets à impact. La Nef l’explique depuis plusieurs années à la fin de sa liste des financements réalisés. La Nef n’en a tout simplement pas le droit, et cela correspond à une exigence de gestion saine et prudente même si le régulateur ne l’imposait pas. Pour donner un ordre de grandeur, viser 70% semble un bon objectif compatible avec les contraintes réglementaires et de gestion actif-passif.

Encore une fois, dire que ces comptes de néobanques ne financent que des projets à impact positif est donc trompeur. Sur ce point en particulier, je dirais particulièrement.

D’abord, pour une question de stabilité de la ressource. Les comptes de paiements des néobanques se sont développés très récemment (quelques années). Or les banques ont des historiques de dizaines d’années pour mesurer la stabilité de leurs comptes courants ou de leurs livrets d’épargne. Elles savent qu’une partie des clients retire chaque jour de l’argent, d’autres en mettent davantage, et au final sur une clientèle donnée et une période longue la masse est relativement stable. C’est ce qui leur permet de prêter à plus long-terme alors que leurs ressources sont plutôt à court-terme. 

Pour n’importe quelle banque qui accueille ces fonds via les néobanques, elles sont nécessairement plus prudentes dans leur utilisation. Elles ont tout simplement moins de connaissance sur les comportements des clients de ces comptes. Mettons nous à leur place, vous avez une nouvelle typologie de clientèle, servie par des jeunes start-up, avec des nouveaux produits comme le compte de paiement. Vous n’allez pas dès qu’ils vous déposent 1 million d’euro acheter immédiatement une obligation verte d’1 million d’euro à 10 ans ou un prêt à 10 ans pour acheter des terres agricoles, un actif peu liquide en cas de défaut de l’emprunteur. Vous allez en mettre une grosse partie de côté, disponible elle aussi à n’importe quel moment!

Ensuite, pour des raisons réglementaires. Quand vous devez déclarer le LCR ou un autre ratio, vous ne pouvez pas dire “alors ce compte là, c’est spécial, c’est une néobanque qui se dit verte, ils ne veulent pas qu’on mette l’argent ailleurs, donc les 10 millions d’obligation verte de l’actif on les met de côté, et les 10 millions de leurs clients au passif aussi”. C’est un raisonnement global, prenant en compte le caractère fongible de la monnaie vu plus haut. La banque respectera la réglementation, pas la promesse de la start-up qui vend certaines de ces cartes.

Dernier point de réglementation, les banques doivent respecter un ratio de réserves obligatoires auprès de la Banque Centrale (aujourd’hui à 1% en France). C’est à dire qu’elles doivent mettre sur leur compte à la Banque Centrale Européenne 1% des dépôts qu’elles reçoivent des clients. Autant qui ne peut donc pas être mis pour des projets à impact.

Enfin, il me semble incohérent pour des acteurs qui se disent “éthiques” ou “citoyens” de ne pas faire preuve d’un minimum de pédagogie financière telle que ci-dessus auprès du grand public et de leurs clients. 

Etudes de cas

Sans citer de nom, certains acteurs vont déclarer que l’argent est “cantonné”, c’est à dire selon eux jamais utilisé. Comme nous l’avons vu ci-dessus, c’est impossible comptablement, financièrement et réglementairement. 

Quand dans la réglementation il est expliqué que les fonds sont cantonnés, il faut bien comprendre que l’objectif est bien que l’Etablissement de Paiement (EP) ne puisse pas utiliser cet argent. Il n’a pas l’agrément pour, on le contraint donc à le déposer chez quelqu’un qui a le droit de le faire, un Etablissement de Crédit habilité à recevoir des dépôts du public (EC). Celui-ci a un agrément qui indique que l’ACPR a vérifié qu’il avait les moyens humains et techniques notamment, de gérer et d’utiliser cet argent. Mais cette interdiction d’utiliser les fonds vise uniquement l’EP, pas l’EC. Cette confusion est ainsi utilisée pour faire croire que ces fonds ne sont jamais utilisés par la Banque, alors que c’est bien le cas.

Nous allons étudier plus précisément le cas de Tomorrow, qui est le seul acteur en activité pour l’instant. C’est également utile pour le cas français car d’autres acteurs sont en train de répliquer le modèle Tomorrow (ce qui pose la question de la différenciation des deux offres : on aura deux start-up – voire plus – qui maîtrisent une appli et un service client, mais passant par la même banque pour maîtriser leur promesse d’utilisation vertueuse des fonds…).

Tomorrow explique d’abord que “votre argent est exclusivement utilisé pour financer des projets durables”.

Si l’on va sur leur site (27/08), on constate pourtant un gros problème :

  • 68 743 357 € déposés par leurs clients
  • 9 800 000 € investis dans des projets durables
  • Où est le reste, 59 000 000 €, 86% des sommes déposées par les clients ? Comment affirmer que tout va dans du durable?
  • Le “0€ investi dans des industries du passé” est également trompeur comme nous le verrons plus bas. Il faudrait déjà avoir une définition “d’industrie du passé”.
    • Surtout, je n’ai pas trouvé de politique “0 industrie du passé ou polluante” chez Solaris.
    • Enfin, Solaris met beaucoup d’argent en obligations d’Etat et/ou à la Banque Centrale (Allemande je suppose), cf plus bas. Et justement les banques centrales sont accusées de trop financer les entreprises polluantes dans leurs rachats d’obligations massifs initiés lors de la crise de 2008 et accélérés par la crise Covid.

Autre problème, la confusion entre qui finance quoi. Nous l’avons vu, Tomorrow n’a pas le droit de toucher aux fonds de ses clients car ils n’ont pas d’agrément bancaire. Cela m’étonnerait en effet que la législation allemande soit différente à ce sujet. Les conditions générales de vente montrent bien que le contrat pour obtenir le compte et la carte est bien avec Solaris.

Pourtant, ils laissent entendre, avec des formules très ambigües à mon sens, que c’est Tomorrow qui achète des green bonds avec les dépôts de ses clients.

“Bonds are securities that are traded on the stock exchange and can be purchased by private individuals like you, or institutions like Tomorrow or our partner solarisBank. […] According to this arrangement, they must repay their creditors (in this case Tomorrow, or solarisBank) the capital sum and interest after a certain period of time.”

Il faut être très clair ici :

  • Soit Tomorrow a acheté ces obligations, et alors ils l’ont fait avec l’argent de la société (apporté par leurs actionnaires et/ou des banques qui leur ont prêté l’argent), mais en aucun cas c’est l’argent de leurs clients qui a pu être utilisé.
  • Soit c’est bien Solaris Bank qui l’a fait, et elle n’a utilisé qu’une partie de l’argent déposé par les clients de Tomorrow pour l’acheter (cf principe de fongibilité vu plus haut)

Autre promesse problématique :

“Part of Tomorrow’s customer deposits are channelled into a microfinance fund that funds several dozen institutions around the world, meaning micro-loans can be granted. […]

Funded by Tomorrow, this project focuses on Latin America, Asia and Eastern Europe.”

C’est encore une fois très ambigü :

  • Tomorrow affirme financer ce projet de microfinance, mais alors ce ne peut pas être l’argent de ses clients, elle n’en a pas le droit.
  • Tomorrow affirme en même temps qu’une partie des dépôts de ses clients financent ce projet, mais alors c’est SolarisBank uniquement qui peut le faire, pas Tomorrow.
  • La seule possibilité pour que cela fonctionne, c’est que Tomorrow ET SolarisBank aient financé ce projet. Dans tous les cas, il y a une vraie confusion entre les rôles des deux entités qui me semble complètement incohérent avec les promesses de transparence et d’éthique de la société.

Reprenons la principale promesse aujourd’hui, l’argent ne va financer que des projets positifs car il va dans un green bond. Premier point vu ci-dessus, en fait ils affichent que ce green bond ne représente que 14% des fonds déposés par leurs clients.

L’argent est donc déposé chez Solaris Bank, qui parmi tous ses actifs, va acheter un green bond émis par NRW. Mais Solaris, comme vu ci-dessus, ne peut pas acheter que des green bonds, elle a notamment besoin d’avoir de la trésorerie. Comme nous le voyons sur son bilan (au 31/12/2018, dernier rapport annuel disponible sur son site Internet au 27/08/2020), une grande partie de son bilan va à un Etat ou sa Banque Centrale (“Zentralstaaten oder Zentralbanken”), le plus probable étant la Banque Centrale Allemande.

En version plus graphique :

Nous n’avons pas de précisions sur qui est financé dans les “prêts à la clientèle”, mais Solaris ne prétend pas être une banque éthique ou particulièrement concernée par ce sujet. Son business est celui d’une “Bank as a service”, c’est à dire fournir à des entreprises, notamment start-up, des produits financiers qu’ils peuvent vendre à leurs clients. Au moins, ils ne mentent pas sur leur objectif, qui est du business classique.

Le green bond évoqué, de 9.8M€, représente moins de 4% de son bilan au 31/12/2018. Comme l’argent est fongible, l’argent déposé par Tomorrow finance l’intégralité du bilan de Solaris, et donc il faut considérer que seulement 4% des fonds de ses clients vont dans ce green bond.

Une autre remarque qui me semble intéressante sur le modèle de Solaris, qui est cohérent avec ce que j’explique ci-dessus sur la gestion actif-passif, est leur orientation vers des financements à court-terme. Je vous ai mis ci-dessous le comparatif avec la Nef. Près des trois quarts des actifs de Solaris sont à moins d’un an. Leurs acteurs étant plutôt jeunes, avec des produits de type compte de paiement et livret d’épargne, il est normal qu’ils ne s’aventurent pas à financer des projets à très long terme. La différence est flagrante avec la Nef qui historiquement finance des projets à moyen-long terme.

Sources : rapports annuels 2018 pour Solaris (dernier disponible), 2019 pour Nef

Cela ne veut pas dire que “c’est mal”, car les entreprises ont aussi besoin de financement à court-terme, et la Nef en propose. C’est juste que faire croire qu’on peut investir dans les projets qui vont contribuer à la transition énergétique par exemple, qui demandent des financements longs (ex : Energies renouvelables, projets à 10/15/20 ans), avec des ressources très court-terme avec peu d’historique, comme les comptes de paiement, ne tient pas.

Résumons : on a donc des clients d’une néobanque, qui financent la totalité du bilan de Solaris, et plutôt ses financements courts-termes. Parmi tout le bilan, il y a un greenbond, qui représente moins de 4% du total (9.8M sur 253M). Ces 4% financent une banque régionale allemande, qui a parmi ses projets des projets écologiques, mais aussi beaucoup de prêts dans d’autres banques comme nous allons voir. Ca fait un bon processus de dilution et de complexité, pas vraiment de la transparence et du 100% de projets positifs / 0% fossile…

Continuons donc notre recherche. L’argent des apporteurs de fonds de Solaris va donc en partie dans NRW Bank. Et que fait la NRW Bank? Regardons son bilan.

Si je traduis :

Sur un bilan de 149 Milliards d’euros, 43 Mds vont vers…d’autres banques! (Kreditinstitute) soit 29%, un tiers. On retrouve alors un étage de plus dans le circuit de l’argent, puisque ces banques vont elles-mêmes avoir des activités plus vertes que d’autres, et prêter elles-mêmes à d’autres banques.

Il faudrait creuser encore davantage, et je ne doute pas que la NRW est sans doute meilleure qu’une banque commerciale qui cherche exclusivement le profit. Plusieurs initiatives présentées sur son site Internet semblent aller dans le bon sens. Mais en l’absence de transparence et de mission très claire, il est difficile d’avoir des garanties du niveau d’une banque éthique.

Ce qui nous donne au final :

On voit bien le problème qui se dégage de ce montage en mille-feuilles : la part de l’argent déposé par les clients qui sert à des projets verts se dilue à chaque étape, et cela peut devenir très faible, d’autant moins que l’acteur partenaire sera moins éthique. Même le 4% de green bond est donc pour moi une estimation potentiellement large.

Et les banques éthiques?

Les banques éthiques font face aux mêmes contraintes réglementaires et de gestion actif-passif que les autres banques, et ne peuvent donc pas financer que des projets à impact. Elles achètent des obligations souveraines, et placent des excédents de liquidité dans d’autres banques.

En revanche, elles ont davantage de maîtrise (puisqu’elles peuvent prêter directement à des projets) et se fixent l’objectif de maximiser ce taux d’argent collecté vers des projets à impact. On l’appelle le taux de réemploi, et c’est donc l’indicateur clé. Si l’on regarde Triodos, la plus grande banque éthique en Europe, présente dans plusieurs pays, on est sur un taux d’environ 70%/80% selon les années. Pour la Nef, on est aujourd’hui à environ 55%. C’est un combat permanent pour faire monter ce taux, car il est facile de collecter de l’argent aujourd’hui (beaucoup de liquidités et d’épargne disponible, peu de concurrence pour attirer ces dépôts) mais beaucoup plus difficile de prêter (forte concurrence, taux très bas avec la politique de la BCE, etc.). Pour ceux qui veulent davantage creuser, lisez les 5 pages dédiées sur la liste des financements 2019.

Dernier point qui me semble essentiel, on parle beaucoup de financer la transition, les projets à impact positifs, mais que finance-t-on au juste, et qu’est-ce-qui est le plus utile?

Solaris a acheté un peu d’obligations vertes d’une banque de développement régionale allemande. C’est très bien. Mais si ce n’était pas eux, il faut bien voir que cela aurait été probablement d’autres. Quel acteur public a aujourd’hui des problèmes de financement? Ils s’endettent à taux négatif ou très faible grâce à la politique de la BCE (Banque Centrale Européenne). Par exemple, la BCE a presque entièrement absorbé le surplus de dette d’Etat lié au Covid

Nous avons évidemment besoin de banques de développement, de grands projets d’infrastructure, mais aujourd’hui ce n’est sans doute pas la priorité.

A mon sens, et c’est la mission des banques éthiques depuis leur création, il faut financer ce qui n’est pas assez financé par ces acteurs, des projets petits et moyens dans les territoires, des changements d’échelle de projets moyens à fort impact pour qu’ils essaiment, etc. Eux ont plus de difficultés et ont des impacts locaux importants. A la Nef par exemple, 50% des financements sont des créations d’entreprises, dans des secteurs pionniers. La Nef a été un des premiers soutiens de Biocoop et de l’agriculture biologique en France, cofondateur d’Enercoop, de la foncière Terre de Liens, appuie le Réseau Vrac, le mouvement Zero Waste, etc. C’est le financement de ces pionniers, qui transforment concrètement la société et inspirent la transformation de leurs secteurs respectifs, qui est essentiel.

Sur le modèle économique, un autre point me gêne chez Tomorrow. La gratuité du compte. Or les services bancaires ont un coût. Un acteur qui se dit “éthique” et propose un compte à 0€ masque les coûts et le travail qu’il y a derrière, et évite toute pédagogie sans laquelle aucun projet qui se prétend “responsable, durable, éthique, etc.” ne peut aller à mon sens.

Pire, ce modèle me semble très opportuniste et sans valeur ajoutée. Un green bond, comme toute obligation côté sur un marché, ne coûte quasiment rien à acheter : en quelques clics, vous avez transféré des dizaines de millions d’euros. Mais c’est la banque qui a émis cette obligation qui va faire le travail d’étudier des projets et les financer, ce qui a un coût important. Tout ce travail, où réside la valeur du métier de banquier, d’analyse, est sous-traité, mais son image est accaparée afin de capter des clients.

C’est ce que dénonce notamment la GLS, la banque éthique allemande dans ce podcast où un débat a lieu avec Tomorrow (en allemand, merci à Simon Kauffmann pour la traduction, dont je reprends quelques éléments en les réécrivant), 

  • Une banque éthique a un impact que n’ont pas les banques classiques, car elle prête à des projets à fort impact, délaissées par les autres
    • Les néobanques “vertes” n’apportent pas de financement à ces projets et n’ont donc pas d’impact ni ne représentent une alternative
    • Le système du cantonnement dans une banque non éthique est opaque et ne permet pas de justifier la promesse, à l’inverse d’une banque éthique qui maîtrise sa collecte et son emploi
  • Tomorrow se défend alors en signalant qu’elle a des fonctionnalités “vertes” au-delà de l’utilisation des fonds : mesure de l’empreinte carbone, “cashback”, etc
  • Pour la GLS c’est une approche fondamentalement différente, la banque éthique assume elle-même la responsabilité d’apporter un changement dans la société (via la transformation monétaire et le portage du risque dans le financement de projets)

Merci aux relecteurs Chloé, Jean-Philippe et Nicolas, et Simon pour la traduction du podcast.

Le modèle économique d’une banque sans taux d’intérêt, la JÄK Bank

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La JAK est une petite banque réunissant environ 38 000 membres, une trentaine de salariés, pour 170 millions d’euros d’actifs

Venez fouiller avec moi dans un rapport annuel en suédois armé de google translate 😉

Elle dispose d’une trentaine de salariés, principalement à son siège de Skövde, et une agence à Orsa. Il s’agit de deux petites villes, il n’y a pas d’implantation à Stockholm ou une des autres grandes métropoles suédoises.

Elle compte environ 700 bénévoles et 24 groupes locaux qui servent de relais partout en Suède.

D’où vient l’argent? Des membres, qui déposent dans des comptes épargne environ 160 millions d’euros, et en parts sociales de la coopérative (capital) environ 10 millions d’euros.

Où va l’argent?

  • 93 millions d’euros se destinent à des prêts aux membres
    • 84 millions d’euros sont pour des prêts immobiliers à des particuliers,
    • Il y a également des petits prêts sans garantie, à partir de 5 000 couronnes / 500 euros
  • 46 millions d’euros dans des obligations (pas de détail)
  • 10 millions d’euros sont placés en dette publique suédoise, ce qui rapporte à la JAK des intérêts :
    • 7,5 millions pour les collectivités locales
    • 2,5 millions pour l’Etat suédois
  • 10 millions d’euros à des établissements financiers :
    • 9 millions dans “autres banques”
    • 900 000 € dans Nordea, un des principaux groupes financiers scandinave, détenu jusqu’en 2013 à 20% par l’Etat suédois
    • 600 000 € dans Ekobanken, la banque éthique suédoise, similaire à la Nef en France  [lien article blog sur Nef]
    • Mon interprétation est que les “autres banques” à qui la JAK confie une partie de ses dépôts sont moins éthiques qu’ekobanken mais offrent des taux d’intérêts supérieurs, qui sont pour l’instant cruciaux pour la survie de la JAK. En 2015, les sommes déposées dans des établissements financiers était de près de 20 millions d’euros. Les taux ayant chuté, la JAK les a mis davantage dans la dette publique et les obligations, probablement plus rémunératrices
  • 6 millions d’euros déposés à la banque centrale suédoise (ce qui n’est pas sans poser problème ces dernières années à cause des taux négatifs allant jusqu’à -0,4% imposés par celle-ci).
  • “Frais payés d’avance et le revenu accumulé” : 3 millions
  • 1 million d’euros : immobilisations corporelles et incorporelles

D’après le document de Miguel Ganzo (datant de 2006, mais le nombre de membres est resté stable depuis), environ 20 000 membres épargnent, 5 000 empruntent.

Côté compte de résultat, après de nombreuses années de bénéfices modestes, la JAK vit une période difficile.

Elle a en effet réalisé des investissements informatiques et réglementaires (obligatoires) importants au moment où les taux sont devenus négatifs ou très faibles, ce qui engendre des pertes depuis 3 ans

La JAK génère environ 2,4 millions d’euros d’intérêts (issus des obligations vues ci-dessus), et près d’un million d’euros de commissions, issus des cotisations des membres, frais de dossiers et commissions sur les prêts. C’est le principal paradoxe de la JAK, elle qui lutte contre les intérêts en économie, elle ne peut pour l’instant exister sans faire payer d’intérêts à l’Etat suédois ou d’autres établissements.

Les charges représentent environ 3,4 millions d’euros (locaux, salaires, amortissements, etc.), et les impayés environ 100 000 euros.

La perte opérationnelle est d’environ 200 000 euros chaque année depuis 3 ans. Or la JAK avait déjà accumulé plus de pertes que de gains depuis sa création. Suite à la crise financière, les autorités bancaires suédoises ont fortement augmenté les montants de capitaux propres dont doit disposer une banque. Elles ont contraint la JAK à prendre des mesures afin de devenir plus rentable et d’augmenter son capital. Ainsi, le remboursement des parts sociales que souscrivent les membres à chaque prêt (voir ci-dessous) qui sont normalement remboursées lorsque le membre finit de rembourser le prêt, seront remboursées avec un délai de 2 à 3 ans.

Si cela vous intéresse, n’hésitez pas à poser vos questions dans les commentaires ou à m’envoyer des mails sur financeethique.eu@gmail.com

Finance participative et finance éthique : Analyses et propositions

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La finance participative : introduction et définition d’une révolution financière

Les montants levés via des plateformes de finance participative font plus que doubler chaque année depuis 2013 au niveau européen, passant de 487 millions d’euros (m€) en 2012 à 2 957 m€ en 2014, soit une croissance annuelle moyenne de 146% depuis 2 ans – Wardrop, Zhang, Rau et Gray, (2015). Goldman Sachs estime qu’environ 11 Milliards d’euros, soit 7% des profits annuels des banques des Etats-Unis, pourraient être en danger face aux conséquences de la désintermédiation bancaire dans les 5 ans à venir. (Goldman Sachs, 2015).

Une innovation majeure dans le monde de la finance est donc à l’œuvre. Nous proposons dans cet article, après une brève introduction, de montrer en quoi elle peut améliorer fondamentalement la prise de conscience des enjeux éthiques dans la finance, préciser ses limites (internes ou externes à la finance participative), et enfin proposer des préconisations afin de dépasser ces limites actuelles et améliorer l’impact de cette innovation.

Définissons d’abord la finance participative : selon l’association Financement Participatif France, « c’est un mécanisme de financement, via internet, de projets d’innovation et de création permettant de collecter les apports financiers d’un grand nombre d’épargnants. Ce modèle, qui se caractérise fondamentalement par la possibilité pour l’épargnant de choisir la destination finale de son épargne, finance tous les domaines de la création ».

Il concerne trois formes d’argent :

  • le don
  • le prêt
  • le capital (fonds propres d’une entreprise).

Dans cet article, nous nous concentrerons sur le prêt : le don n’est pas de la finance à proprement parler, et l’investissement en capital peut être traité, tant dans ses apports que ses limites, majoritairement à partir du cas du prêt.

La finance participative peut être qualifiée de révolution à partir de 4 caractéristiques la différenciant fondamentalement des institutions financières existantes :

  • Un accès facilité et agrandi à des opportunités de donner, prêter ou investir : le coût en temps et en argent pour identifier des projets et des personnes à financer, exécuter l’opération et la suivre est fortement diminué.
  • Une transparence sur l’identité des personnes (physiques ou morales) recevant l’argent, contrairement aux intermédiaires financiers qui ne communiquent quasiment jamais sur ce qu’ils font de l’argent déposé sur leurs comptes, hormis les banques éthiques (en particulier la Nef en France, Triodos en Hollande et dans plusieurs pays d’Europe, Banca Popolare Etica en Italie, membres de la FEBEA – Fédération Européenne des Banques Ethiques et Alternatives – voir plus loin)
  • la possibilité de choisir précisément, pour les épargnants, à qui on donne, prête ou investit son argent.
  • Dans le prêt ou l’investissement, l’absence d’intermédiaire traditionnel, le plus souvent bancaire, dans le processus. Nous reviendrons sur la pertinence de conserver ou non cette caractéristique mise en avant par les acteurs de la finance participative.

1      Les enjeux et les apports de la finance participative à l’éthique dans la finance

 

Dans l’activité de prêt, la finance participative propose aux particuliers de financer des projets bien précis, caractérisés par une description des objectifs (quel est mon projet, à quoi servira l’argent récolté, etc.), alors que la finance classique propose en majorité des produits définis par des caractéristiques financières (rendement, risque, liquidité, etc.). Par conséquent, elle apporte un changement majeur qui sert la promotion de l’éthique dans la finance. Elle réintroduit en effet la finalité dans l’acte financier : l’argent est revu comme un moyen de réaliser des projets, et non comme un but en soi, qu’il faut faire fructifier, quelque soit le moyen utilisé. Un produit financier classique, défini uniquement par des caractéristiques financières, masque toute idée de finalité. Il se fonde sur l’idée qu’au bout du compte, ce que la banque fait de l’argent de l’épargnant n’est pas importante, du moment que les promesses financières dans le contrat sont respectées. Ainsi, personne ne cherche à savoir si l’argent de son livret d’épargne a servi à financer le régime soudanais sous embargo (ex : cas BNP Paribas jugé en juin 2014) ou le financement d’installations d’énergies renouvelables. A l’inverse, en voyant à quoi peut servir son argent, l’épargnant peut exercer sa responsabilité et son jugement éthique sur son acte financier.

 

 

Ainsi, le principe même de la finance participative l’incite à se poser des questions, à prendre conscience que tout acte financier met en jeu son éthique personnelle. La finance participative rend le contrôle du choix à l’individu et non des institutions sur la base de processus normalisés (même si le jugement humain peut rentrer en ligne de compte dans ces processus). Or l’éthique a à voir avec un jugement humain (qui est évidemment construit avec des jugements et des normes collectifs, comme la morale), et aucune institution ou processus ne peut être éthique en lui-même ou par définition. Ce n’est qu’en remettant la personne comme décisionnaire que l’on peut réintroduire l’éthique dans la finance : c’est un des acquis majeurs de la finance participative.

 

Cette caractéristique a des conséquences au-delà du secteur de la finance participative : elle crée une dynamique sur l’ensemble du secteur financier traditionnel.

Ainsi, elle permet de légitimer la démarche des banques éthiques sur la nécessité d’augmenter la transparence et la traçabilité de ce qui est financé. En effet, en Europe, plusieurs banques publient tous les prêts qu’elles accordent (Triodos, la Nef, Banca Etica, etc) et permettent ainsi d’offrir une transparence totale aux épargnants. En permettant de savoir à quoi est consacré l’argent, elles permettent à chaque épargnant de se rendre compte que leur argent déposé n’est pas sans conséquences pour la société, l’environnement et de manière générale le monde dans lequel nous vivons. Un placement n’est pas un simple couple rendement-risque (un taux plus élevé allant en général avec un risque plus élevé). Ce rendement est issu d’investissements dans des entreprises, des projets, qui ont eux-mêmes des impacts économiques, sociaux et environnementaux tangibles.

 

La finance participative légitime également l’idée de fléchage de son épargne vers ce que l’on souhaite financer. Les banques éthiques permettent également depuis leurs créations de flécher son épargne. La Nef propose par exemple d’exprimer son choix parmi 3 domaines : environnement, social ou culturel. Mais cela reste une possibilité et non une obligation : elles essayent de remplir au mieux ces souhaits. La finance participative permet elle ce fléchage par construction.

 

Pour les banques non éthiques, nous pouvons détecter des changements de comportement, avec le développement de produits d‘épargne liés à une destination, principalement géographique, et donc un début de fléchage et de traçabilité. De nombreuses banques coopératives françaises ont récemment créé des livrets d’épargne dont l’argument de vente est qu’ils ne financent que des prêts dans la région de l’épargnant.

 

Par extension, la finance participative est un outil pédagogique extraordinaire : n’importe qui peut expliquer aux plus jeunes mais aussi à ceux qui souhaitent mieux comprendre le système financier que la finance consiste à transmettre les moyens de réaliser des projets, de ceux qui détiennent les fonds vers ceux qui en ont besoin, et que tout prêt et tout placement a des conséquences décisives sur le monde dans lequel nous vivons.

 

De manière plus générale, la finance participative permet de faire apparaître en creux le fonctionnement des banques, générer des questions légitimes et favoriser la prise de conscience des conséquences éthiques de la finance.

 

Les institutions financières ont ainsi le pouvoir de façonner le monde à leur guise, selon leurs critères, avec les conséquences sociales et environnementales qui vont avec. Est-il légitime que ce soit ces institutions qui décident de ce qui doit être construit ou réalisé dans le monde ?

 

Nous pouvons en particulier nous interroger sur le fait que ces institutions, à l’échelle mondiale, sont majoritairement des sociétés anonymes détenues par des actionnaires. En étudiant le classement The Banker des plus grandes banques mondiales, nous notons ainsi JP Morgan Chase, Bank of America, HSBC dans le top 5, et le reste du classement est également marqué par un actionnariat majoritairement ou totalement privé (à l’exception de la Chine, marquée par des grandes banques publiques, et de la France, où les banques coopératives, détenues par des sociétaires dont le vote n’est pas lié au nombre d’actions détenues – un homme = une voix – sont majoritaires avec les deux tiers du marché environ en Produit Net Bancaire). Selon les rapports annuels des principales banques, leur objectif est donc le plus souvent de maximiser leurs dividendes, de se développer, de croître. Nous confions donc le choix de ce qui doit être fait dans le monde à des acteurs qui ont pour but de maximiser leurs profits.

 

Cette interrogation revêt deux sous-questions : celui de l’usage de l’argent des déposants, l’épargne préalablement accumulée, mais également la création monétaire, c’est-à-dire les dépôts créés par les banques à l’occasion de l’octroi d’un crédit. La Banque d’Angleterre, qui a publié un bulletin sur la création monétaire au premier trimestre 2014 (Bank of England, Q1 2014), explique ainsi que la monnaie est aujourd’hui principalement créée par les banques commerciales sous forme de dépôts bancaires lorsqu’elles accordent un crédit. Bien évidemment, des contraintes (rentabilité, règlementation, politique monétaire de la banque centrale – notamment le taux d’intérêt) empêchent les banques de pouvoir créer à l’infini de la monnaie, à leur bon vouloir. Il n’en reste pas moins que ce pouvoir de décider quels projets seront réalisés, si l’on financera par exemple une centrale éolienne ou une centrale à charbon, est confié à des institutions privées, dans une sorte de délégation de service public (les banques centrales donnent un agrément aux banques pour qu’elles puissent faire du crédit, et acceptent de refinancer les dettes créées par ces mêmes banques). Ce débat, fondamental pour l’éthique dans la finance, peut ainsi être amené par la finance participative de manière pédagogique. En revanche, la finance participative ne peut y jouer un rôle, par définition, puisque la création monétaire découle d’une décision prise par un acteur agréé et contrôlé, et ne pourrait être le fait d’une foule « votant » de manière décentralisée et non coordonnée comme actuellement sur les plateformes avec une épargne préalablement accumulée. On peut néanmoins imaginer un fonctionnement hybride, avec l’arrivée de banques comme investisseurs sur les plateformes ou de plateformes détenues par des banques, qui prêteraient via ces plateformes (voir notre partie préconisations). La création monétaire resterait un monopole bancaire mais concernerait alors les projets des plateformes. Ainsi, Groupama a récemment signé avec Unilend un engagement d’investir 100m€ sur 4 ans : on peut imaginer que Groupama Banque intervienne en direct prochainement par exemple.

 

2      Les limites de la finance participative

Ces limites peuvent être classées en 3 catégories :

  • 2 macro-limites, externes à la finance participative : création monétaire et inégalités de patrimoine
  • Une limite liée à la finance éthique, qui n’épargne pas la finance participative : comment définir un projet éthique ou socialement responsable?
  • Les limites internes, propres à la finance participative : nous avons identifié 6 points d’attention

2.1    Les macro-limites : création monétaire et inégalités de patrimoine

La première concerne le pouvoir de création monétaire des banques, comme nous l’avons vu ci-dessus. La finance participative ne concerne que l’épargne préalablement accumulée par des personnes physiques ou morales, et non l’octroi de crédit par les banques, qui en ont le monopole. Cette limite est très forte, car elle place la finance participative en tant qu’outil secondaire par rapport aux banques. Nous étudierons plus bas leur possible articulation.

La seconde limite externe fondamentale est celle de l’inégalité de richesse. Elle s’applique à la fois au don, au prêt et à l‘investissement. La finance participative est en effet le règne de la ploutocratie : celui qui choisit est celui qui est le plus riche. Les entrepreneurs qui souhaitent produire leur œuvre ne dépendent pas du nombre ou de la qualité des prêteurs et de leurs avis, de l’élaboration de leur jugement éthique, mais de leur capacité contributive. Bien entendu, il est tout à fait possible d’imaginer que pour des montants modestes,  la réunion de nombreuses petites contributions permette la concrétisation d’un projet. Mais cela ne peut être, statistiquement, que l’exception. Ce sont les personnes aisées qui peuvent financer ces projets, tout simplement parce qu’ils ont plus de ressources financières. Un bref rappel est ici important concernant la part de patrimoine détenue par chaque décile  (10% de la population). Le cas de la France peut être répété avec des résultats similaires ou encore plus concentrés dans la plupart des pays du monde :

article FP FE inégalités

Source : INSEE, Enquête Patrimoine 2010

20% de la population détient 65% du patrimoine, alors que 40% n’en détient que 2%. On ne peut se cacher les conséquences massives des inégalités de richesses sur ce phénomène de la finance participative. Les promesses de « démocratisation » de la finance à travers la finance participative, souvent promues par les plateformes elles-mêmes, doivent être regardées avec prudence voir suspicion. Si la finance participative a sans aucun doute un impact majeur pour favoriser la prise en compte de l‘éthique dans la finance, il ne faudrait pas qu’elle tombe dans une attitude non éthique en réalisant une publicité mensongère. Nous proposons des pistes d’amélioration plus bas.

2.2    Une limite liée à la finance éthique, qui n’épargne pas la finance participative : comment définir un projet éthique ou socialement responsable?

 

Une difficulté supplémentaire intervient lorsque nous avons pris conscience de la portée éthique de tout acte financier. En effet, cette prise de conscience débouche sur une volonté de réaliser un jugement. Mais comment alimenter et structurer ce jugement, quelles sont les bonnes informations pour faire un jugement éclairé et comment les trouver ? Nous retrouvons ici un questionnement qui n’est pas propre à la finance participative, puisqu’il est valable pour tout acte financier, mais qui conditionne l’apport de la finance participative à la meilleure prise en compte de l’éthique dans la finance. Nous n’allons donc pas le détailler mais nous nous devons de le mentionner.

En effet, la finance participative permet de prendre une décision éthique, en choisissant d’accorder son crédit à un projet, en envisageant les conséquences qu’il aura, et sa conformité avec les valeurs du prêteur. On peut alors reprendre 2 grandes théories de l’éthique : la déontologique, qui juge en fonction de principes moraux ; la conséquentialiste, qui juge les actions morales sur leurs résultats, peu importe l’intention et les principes de la personne (dans notre cas, le jugement a priori peut alors porter sur des probabilités de conséquences). La présentation des projets sur une plateforme doit pouvoir répondre à la première approche. Durant la campagne de levée de fonds, les porteurs de projets animent en général leur page de levée de fonds, réalisent de nombreuses actions de communication, ce qui peut faciliter la connaissance de leurs intentions et de leurs principes.

 

Toutefois, cette recherche d’information est coûteuse. La finance éthique nécessite plus de temps qu’un simple benchmark de taux entre livrets d’épargne, et cela par construction : c’est un engagement. Nous pouvons ajouter qu’il existe toujours la possibilité d’être trompé.

 

D’autre part, cette approche ne prend pas en compte les conséquences du financement de tel ou tel projet : cela constitue une des principales critiques des conséquentialistes vis-à-vis des déontologues (si l’on peut schématiser ce débat philosophique complexe ainsi). A ce titre, la présence d’outils d’évaluation d’impacts, notamment socio-environnementaux, peut permettre d’éclairer la décision. Comprendre le nombre d’emplois créés ou les tonnes de CO2 évitées est très utile pour se faire une idée du projet, au-delà de sa présentation initiale. C’est aussi un élément important pour comparer plusieurs projets entre eux, si l’on souhaite par exemple maximiser l’impact d’un financement donné (comment créer le plus d’emplois avec 1 000€ de prêt? Comment éviter le plus de tonnes d’émissions de CO2 avec 500 € de capital ?). Il s’agit clairement d’un axe de travail important pour les plateformes afin d’éclairer les choix éthiques des épargnants.

 

Nous pouvons même, si l’on suit certains auteurs (Gollier, 2009), chercher une comparabilité totale de tous les projets, avec un indicateur unique, monétaire. En donnant un prix à la vie humaine, comme on peut le faire chez des assureurs, en donnant un prix à la tonne de CO2, et à tout ce qui peut être nécessaire d’entrer en compte dans le calcul, on peut calculer une valeur monétaire du projet qui permet une comparaison facile et même automatique. Cette approche peut également être utile dans le suivi des projets, en permettant de constituer un historique et une vérification a posteriori, permettant de crédibiliser les porteurs de projets et les plateformes, comme les scores de réputations se sont développés sur les sites tels ebay.

 

Cette approche est donc très séduisante, néanmoins il présente plusieurs défauts majeurs dont nous ne pouvons livrer ici que 2 exemples : l’estimation implique de choisir un taux d’actualisation de la valeur financière du projet dans les années futures, pour prendre en compte l’inflation et surtout les coûts d’opportunité. A 3%, 100€ dans 20 ans équivalent à 55€ : nous pouvons donc largement minorer les conséquences futures de nos actes actuels, ce qui a de grandes conséquences pour un jugement éthique, qui se préoccupe notamment du long terme. Deuxièmement, le calcul exclut des considérations morales et éthiques qui ne sont justement pas commensurables, parce qu’elles peuvent toucher à l’irréversibilité par exemple (quelle est la valeur de ne plus pouvoir vivre à Fukushima?)

 

Ces approches ont des avantages et des défauts et ne sont pas exclusifs. Il nous semble qu’il s’agit d’un débat essentiel à faire progresser pour que la finance éthique puisse tirer de la finance participative tout son potentiel.

 

2.3    Les limites internes, propres à la finance participative : 6 points d’attention

 

Premièrement, la finance participative est un outil qui peut être utilisé à d’autres fins que la vision éthique que nous avons développé ici. Il n’y a pas d’automaticité entre participatif et éthique. En effet, les caractéristiques financières sont également présentes dans la finance participative, elles ne sont pas supprimées. Il n’y a donc pas substitution pure et simple de la finalité du projet aux caractéristiques financières du produit. Il faut donc dire qu’avec la finance participative, on regarde aussi les éléments financiers, et ne pas avoir une vision naïve d’un choix éthique « pur ».

 

Surtout, certaines plateformes ont rapidement considéré le marché de la finance participative comme un simple actif de plus, au couple rendement risque plus avantageux que d’autres. Elles ont donc, comme Zopa au Royaume-Uni, proposé des produits plutôt que des projets. L’épargnant investit dans un groupe de prêts individuels, qui sont regroupés sur la base d’un scoring et d’une maturité semblable, après une analyse de risque de la plateforme (nous verrons plus loin le problème de la gestion du risque lié à ce mécanisme). La transparence apportée est vue comme marginale, et le choix de l’épargnant est totalement annexe. Nous devons donc ici souligner que la perspective éthique réside dans la volonté de chaque personne de réfléchir et juger de manière éthique. Les initiatives comme la finance participative peuvent aider à sensibiliser, éduquer les personnes, mais elles ne feront pas le choix ni la réflexion pour elles. Plus grave, il faudra faire en sorte que des mauvaises pratiques de certaines plateformes purement commerciales n’entravent pas le développement de ce secteur très prometteur pour la finance éthique.

 

Ensuite, le modèle de gestion du risque des plateformes est un sujet de préoccupation. En effet, les banques opèrent une diversification du risque, sur lequel elles ont beaucoup plus de prise que les épargnants. Une banque, par ses obligations règlementaires mais aussi en application de principes de bon sens, ne « met pas tous ses œufs dans le même panier ». Elle a à disposition des milliers de possibilités d’investissements et ainsi une possibilité de diversifier ses risques de manière beaucoup plus fine et efficace qu’un épargnant individuel. Les plateformes conseillent en général de diversifier leurs placements, mais cela ne peut être suffisant par rapport aux banques : les ordres de grandeur ne sont pas les mêmes.  De manière générale, les produits actuels de finance participative sont plus risqués qu’un livret bancaire : celui-ci n’est pas lié à un projet mais à une institution fortement régulée, qui a accès à des possibilités de financement à court-terme, donc des placements très liquides, mais également très solides (ex : dettes souveraines bien notées).

 

L’autre aspect de gestion du risque concerne les asymétries d’information, qui conduisent aux phénomènes d’anti-sélection et d’aléa moral, d’après un manuel de référence (Mishkin, 2013). L’emprunteur peut par exemple utiliser les fonds pour autre chose que ce qu’il avait promis, ou ne pas dévoiler toutes les informations qu’il devrait. Les intermédiaires financiers ont donc pour tâche la réduction de l’asymétrie d’information. Ils s’appuient sur la relation qu’ils ont avec leur client, ainsi que des analyses statistiques afin de prédire ce risque. Ce travail est beaucoup plus compliqué voire impossible pour un particulier. Il s’agit d’un enjeu important pour les plateformes, sur lequel on manque encore de recul pour juger de leur capacité. Toutefois leur absence de relation de long-terme avec les emprunteurs (gestion au quotidien des flux par exemple) est de nature à fragiliser leur position par rapport aux banques.

 

La cinquième limite interne est celle de la structure d’incitations des acteurs de la finance participative : ils sont payés par les porteurs de projets, comme les agences de notation, et ne prennent pas de risque elles-mêmes, comme le modèle « originate to distribute » qui a facilité la crise des subprime (octroyer un prêt pour le revendre à un investisseur, supprimant l’incitation à bien analyser le risque puisqu’on ne le porte plus).

  • Les plateformes mettent d’ailleurs en avant le fait que les contrats sont entre les parties en présence mais pas avec elles. Elles cherchent à rassurer les épargnants en mettant en avant leur équipe d’analyse de risque, mais comme elles n’investissent pas avec l’épargnant, elles ne supportent aucun risque.
  • Le fait d’être payé par les emprunteurs est aussi problématique pour les épargnants. Bien sûr, de tels agissements peuvent nuire à la réputation, un actif précieux, mais comme l’ont montré les différentes crises bancaires, dont la dernière, ce n’est pas un argument suffisant face aux profits.

 

Enfin, nous pouvons envisager la question de la « fatigue décisionnelle » : a-t-on vraiment envie de choisir tout le temps à quoi sert son argent ? N’a-t-on pas envie de faire confiance à des intermédiaires, en ayant la possibilité de les contrôler? La finance éthique, nous l’avons vu, est coûteuse en temps et en énergie, car il faut chercher et trouver les informations pertinentes puis juger. On ne peut donc pas demander à tout un chacun de choisir systématiquement les projets qu’il souhaite financer. Les banques éthiques, en exposant leurs critères de choix et en publiant l’intégralité de leurs prêts, permettent cette « délégation en confiance », puisqu’on peut contrôler l’usage de cette délégation.

 

3      Préconisations et perspectives pour améliorer l’apport de la finance participative dans l’éthique de la finance

 

Nous allons ici esquisser des préconisations face aux limites que nous avons soulignées, afin d’améliorer l’impact positif que peut avoir la finance participative sur le développement de la prise de conscience éthique dans le monde de la finance.

 

Tout d’abord, concernant les limites externes (limite de la création monétaire et des inégalités de patrimoine), il s’agit de débats politiques et économiques plus larges qu’il faut encourager mais que l’on ne peut traiter ici. Cela nous apprend que pour développer la prise de conscience des enjeux éthiques de la finance, il faut regarder l’ensemble de la société et pas seulement les pratiques financières.

 

Concernant les inégalités nous pouvons néanmoins imaginer une action innovante et correctrice. Ainsi, des plateformes pourraient proposer des fonds d’abondement qui seraient utilisés par des personnes n’ayant pas suffisamment d’épargne pour « voter avec leur argent ». Par exemple, 1% des frais payés par les emprunteurs serait versé dans ce fond, et chaque projet contiendrait une barre de votes. Le projet recevant le plus de votes sur une période d’un mois obtiendrait un montant prédéterminé, apporté par le fond. On pourrait ainsi intéresser une partie importante de la population aujourd’hui exclue de la finance participative (il restera notamment les personnes ne disposant pas d’Internet) et permettre une éducation à la finance et à ses enjeux éthiques grâce à la finance participative. Nous effectuons une autre proposition pour la démocratisation de la finance participative plus bas, en lien avec la structure des incitations.

 

Ensuite, nous préconisons d’enrichir les plateformes d’outils pour évaluer et suivre les impacts des projets, afin de compléter la logique déontologique déjà présente (dans la présentation des projets) par une logique conséquentialiste.

 

Concernant les limites internes, nous voyons une solution dans la convergence entre la finance participative et les banques éthiques. Elles sont légitimes sur le sujet et ont les caractéristiques des banques pour gérer les limites indiquées.

  • Face à l’utilisation de la finance participative dans une démarche purement commerciale ne se préoccupant pas des enjeux éthiques, les banques éthiques pourraient être des références du secteur et utiliser ce nouvel outil à la hauteur de son potentiel de prise de conscience
  • Comme banques, elles répondent aux limites des plateformes de finance participative en termes de diversification, de gestion des asymétries d’information, et de gestion de la fatigue décisionnelle. Leur activité actuelle est en effet de choisir pour leurs épargnants les projets puis de leur faire un reporting transparent de ce qu’elles ont fait avec leur argent. Sous forme coopérative, elles permettent même de s’impliquer pour réagir et améliorer leur démarche.

 

Concernant la structure d’incitation, nous pouvons imaginer de nouveaux type de plateformes où la banque porte au moins une partie du risque afin d’éviter les écueils décrits ci-dessus.

  • A minima,  la banque (ou la plateforme) pourrait systématiquement prêter ou investir dans les projets un certain pourcentage de la levée demandée, afin de mieux aligner les intérêts de la plateforme avec ceux des épargnants. L’expérience de la plateforme « Prêt de chez moi » est à cet égard intéressante. Cette plateforme créée par la banque éthique « La Nef » en France ne crée pas de reconnaissance de dette entre épargnant et emprunteur mais un compte à terme pour l’épargnant, correspondant à la durée du contrat de prêt signé entre la banque et l’emprunteur. Ce compte à terme peut être nanti entre 25% et 75%, c’est-à-dire que l’épargnant peut perdre entre 25% et 75% de son épargne sur le projet. Symétriquement, la banque prend entre 25% et 75% du risque : les intérêts sont alignés.
  • Mais nous pouvons aller plus loin : la banque pourrait prendre la totalité du risque, l’épargnant n’ayant plus qu’à choisir le projet parmi ceux sélectionnés par la banque en sachant son épargne à l’abri. Cela permettrait notamment de démocratiser un peu plus la finance participative en lui enlevant le risque, ce qui la mettrait dans la catégorie des produits d’épargne traditionnels. En revanche, cela enlève une partie de l’intérêt de la finance participative en amoindrissant le lien avec l’emprunteur et la « communauté de destin », notamment le partage des risques, sur lequel la finance islamique insiste notamment. Pour autant, cela conserverait ses principales caractéristiques, l’accès facilité à des opportunités, la transparence et le choix.

 

4      Conclusion

La finance participative est donc un grand progrès pour le développement de l’éthique dans la finance et doit être encouragée. Elle facilite la prise de conscience du pouvoir des institutions financières et de la portée éthique de tout acte financier en permettant de « voir » où va son argent et les impacts qu’il génère. C’est un formidable outil pédagogique et concret qui peut être utilisé avec de nombreux publics.

 

Elle fait face à plusieurs limites importantes, et se positionne donc comme un complément de la finance intermédiée de manière traditionnelle par les banques. Son hybridation avec les banques, en particulier éthiques, constitue selon nous la voie la plus prometteuse pour exploiter son potentiel de prise de conscience des enjeux éthiques dans la finance. En outre, nous avons proposé plusieurs possibilités, dont certaines innovantes, pour lui permettre de surmonter certains obstacles actuels.

 

Bibliographie :

 

Wardrop R., Zhang B., Rau R. & Gray M. (2015) Moving Mainstream The European Alternative Finance Benchmarking Report ; lu sur http://www.jbs.cam.ac.uk/fileadmin/user_upload/research/centres/alternative-finance/downloads/2015-uk-alternative-finance-benchmarking-report.pdf

 

Goldman Sachs, 2015. “Goldman Sachs Study: ‘The Future of Finance. Part 1”, March 3rd 2015 lu sur http://www.ft.com/cms/s/0/bd0e1e4e-c274-11e4-bd9f-00144feab7de.html#axzz3XIdl7OhG

 

Bank of England (2014) McLeay M., Radia A. & Ryland T. (2014) Money creation in the modern Economy, Bank of England Q1 2014 lu sur http://www.bankofengland.co.uk/publications/Documents/quarterlybulletin/2014/qb14q1prereleasemoneycreation.pdf

 

Gollier C. (2009), Finance durable et investissement responsable, lu sur http://idei.fr/doc/by/gollier/fdir1.pdf

Mishkin, F. (2013). Monnaie, banque et marches financiers. Pearson ; adapté par Bordes, Lacoue-Labarthe, Leboisne, Poutineau

Revue de presse de mai 2015

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Transition énergétique

  • Un très bon article sur les initiatives concernant le prix du carbone :
    • Tous les acteurs sont d’accord sur le fait que fixer un prix du carbone est la meilleure manière d’agir pour réduire les émissions carbone, en permettant aux acteurs d’anticiper et d’investir de manière informée
      • Ainsi, depuis septembre 2014, « une initiative de la Banque mondiale sur la tarification carbone avait été signée par plus de 74 pays, 23 collectivités locales et un millier d’entreprises et d’investisseurs, représentant 54% des émissions de gaz à effet de serre mondiales et 52% du PIB de la planète. »
    • Toutefois, il est important que ce prix soit significatif, stable, prévisible, et le même partout dans le monde
      • Or, comme le montre la carte synthétique, des initiatives diverses ont été prises dans le monde, certaines entreprises ayant même défini volontairement un prix qu’elles payent elles-mêmes. Mais sans contrainte publique et/ou accord globale, le système restera volontaire et inefficace
  • La Caisse des Dépôts et Consignations (CDC) engage une politique de transition énergétique et contre le changement climatique
    • 15 Mds € d’engagement : capital dans les énergies renouvelables, prêts verts aux collectivités locales, interventions de sa filiale Bpifrance sur la lutte contre le changement climatique, investissement vert via l’assureur CNP, filiale du groupe
    • Les représentants de la CDC dans les conseils d’administration pousseront pour une mesure puis une baisse des émissions carbone
    • Mesure des émissions générées par ses investissements
    • Engagement à réduire les émissions de carbone de ses actifs immobiliers de 38 % à l’horizon 2020 et s’engagera fin 2015 sur un objectif pour ses portefeuilles d’actions
    • Une conférence sur le climat avec 500 acteurs internationaux a été organisée afin de prendre des mesures avant la COP 21, avec la Banque Européenne d’Investissement (BEI) et Paris Europlace

Régulation

Investissement Socialement Responsable :

  • Le fonds souverain norvégien, le plus grand du monde avec plus de 800 Mds € d’actifs, va exclure les investissements dans le charbon
    • Cette décision a été pris après plusieurs étapes, que nous avons suivie sur ce blog (en février 2014, février 2015 puis mars 2015)
    • Le parlement norvégien, sous la pression de nombreuses ONG, est notamment allé au-delà de la recommandation d’un rapport sur la question, préconisant de se retirer uniquement des entreprises du charbon les plus polluantes, et non de l’ensemble du secteur.
    • A noter toutefois, la définition des actifs liés au charbon laisse une marge de manœuvre (30% de profits ou de Chiffre d’affaires – CA – dans le charbon) même si elle est moins grande que celle laissée par la définition d’Axa (plus de 50% du CA dans le charbon, ou plus de 50% du mix energétique)
  • La sortie de l’étude annuelle de Novethic sur l’ISR, qui connaît une croissance de 31% à 223 Mds €
    • « Les investisseurs particuliers ne représentent même plus 20% du marché
    • « L’intégration plus large de critères Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance (ESG) dans la gestion financière se renforce : 356 milliards d’euros. »
    • A noter que cette intégation de critère ESG est en réalité une application moins forte des principes définis pour l’ISR, dont on a vu qu’ils étaient déjà très légers
    • « Les assureurs sont les poids lourds de ce marché puisqu’ils détiennent deux tiers des encours de l’investissement responsable français et leur engagement explique en très grande partie la croissance 2013 – 2014 tant de la gestion ISR que de l’intégration ESG. »

Finance solidaire

Ethique 

  • Une nouvelle étude montre la faible éthique qui règne dans le secteur financier :
    • « un tiers des employés du secteur qui font partie des salariés les mieux payés ont été témoins directs d’actes délictueux. »
    • « Environ un quart de ceux qui gagnent plus de 500.000 dollars par an (455.000 euros) reconnaissent aussi avoir subi des pressions pour accomplir des opérations contraires à l’éthique »
    • « 23% d’entre eux pensent que leurs collègues se sont livrés à de tels comportements pour se faire bien voir ou obtenir un avantage, soit plus du double de ce qu’une étude précédente faite en 2012 révélait, et près de la moitié pensent que les firmes concurrentes trichent. »

Fiche de lecture : Finance éthique, de Michel Roux (troisième partie)

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Nous continuons notre fiche de lecture de « Finance Ethique » de Michel Roux dont la première partie est ici et la deuxième là.

Le troisième chapitre et la conclusion de la première partie de l’ouvrage insistent sur la perte de repères et la demande de sens et de régulation dans un contexte de mondialisation et de dérégulation des 20 dernières années.

La deuxième partie de l’ouvrage traite des principaux acteurs de la finance éthique en France. Etant donné que l’ouvrage est daté, nous ne reprenons pas l’analyse avec les chiffres de l’époque.

L’auteur note que les acteurs remettent en cause la maximisation de la valeur actionnariale, mais il ne parle pas de remise en cause du pouvoir de l’actionnaire au détriment des autres parties prenantes. Il reprend la citation d’Amy Domini : « La manière dont nous investissons crée le monde dans lequel nous vivons » 

Parmi les acteurs, il distingue notamment deux démarches, les fonds de partage et les produits solidaires :

  • Démarche solidaire, avec les critères Finansol :
    • Soit 10% des encours doit être destiné au financement d’activités solidaires, le reste étant investi en Investissement Socialement Responsable.
    • Soit 25% au moins du revenu de l’épargne est destinée au financement d’activités solidaires
    • Soit les deux
  • Les fonds de partage redistribuent tout ou partie des revenus de placement (souvent des obligations) aux OIG (Organisations d’Intérêt Général) désignés :
    • Le gestionnaire cède une partie de sa marge
    • L’épargnant cède une partie de ses gains
    • Les deux participent

Selon l’auteur, la démarche solidaire (Finansol) est très différente de la démarche responsable (ISR) :

  • Dans la démarche solidaire :
    • le placement n’est pas une fin en soi, le but est extérieur (lutte contre l’exclusion, etc.), et
    • l’’épargnant renonce à tout ou partie des revenus qu’il produit.
  • Dans la démarche responsable, il n’y a pas de renoncement aux revenus et les finalités sont moins présentes, il s’agit plutôt de processus visant à sélectionner, responsabiliser et influencer les sociétés

Toutefois, cette distinction doit être précisée, car rien n’empêche un fonds ISR de proposer à ses investisseurs un mécanisme de partage des revenus du fonds. Concernant la « fin en soi », on peut également s’interroger :

  • Dans la démarche solidaire, on voit que 90% du capital investi va en ISR, donc la démarquer si nettement pour 10% d’investissement semble étrange.
  • De plus, en investissant dans une entreprise cotée pour ses meilleures performances sur l’écologie, le social ou la gouvernance, il y a bien un objectif fixé au-delà du placement, qui lui est extérieur.
  • A mon sens, la démarche solidaire décrite pas l’auteur est en réalité une amélioration de l’ISR, qui est en lui même mieux que l’investissement classique mais qui reste très critiquable, comme l’a notamment montré Gaëtan Mortier dans son ouvrage « Finance éthique : le grand malentendu » que nous avons chroniqué dans ce blog.
    • Ses critiques sont plus adaptés à des fonds de partage qui investiraient sans aucune prise en compte de comment les revenus partagés sont générés

Dans sa description des différents acteurs, l’auteur ajoute les « fonds éthiques » et l’engagement actionnarial. Ce dernier est intéressant et nous le retrouvons régulièrement dans notre revue de presse, il s’agit d’actionnaires qui demandent des comptes aux entreprises, dialoguent avec elles pour améliorer leurs pratiques, et votent et déposent des motions aux assemblées générales pour influencer concrètement ces changements.

En revanche, parler de « fonds éthiques » pour des fonds ISR qui excluent certains secteurs (par exemple l’armement, le pétrole, etc.) est une confusion, que nous avions également reproché à l’ouvrage de Gaëtan Mortier cité ci-dessus : si un fonds investissant dans des marchés financiers exclut des secteurs, il s’agit d’une méthode au sein de l’ISR, au même titre que le « best-in-class » qui n’exclut aucun secteur mais prend les meilleurs (ou moins pires) de chaque secteur, même dans le pétrole ou l’armement. On ne peut réduire la finance éthique à l’ISR, ne serait-ce que parce qu’il existe des banques éthiques dont l’activité n’est pas l’ISR.

L’auteur pointe la faible discrimination des fonds ISR, qui comprennent la plupart des sociétés du CAC 40 : leur utilité est donc faible s’ils ne font que copier l’indice majoritaire et officiel de la Bourse.

Ce tour d’horizon des acteurs français ne prend pas en compte, et c’est un comble, la Nef, (dont nous avions parlé ici) pionnière de la finance éthique depuis 1978 sous forme d’association et 1988 sous forme de société financière coopérative. La Nef et ses sociétaires ont produit de nombreux textes pour expliquer leur approche, notamment la transparence des crédits accordés par des institutions financière, afin que chaque déposant puisse exercer sa responsabilité sur son argent. Si on ne sait pas où il va, on ne peut pas décider si on est d’accord ou non avec son usage. Il ne parle pas non plus des Cigales dont nous avions parlé ici.

Enfin, Michel Roux réalise un tour d’horizon international :

  • Le marché des Etats-Unis
    • C’est le plus grand, lié notamment à la retraite par capitalisation qui a généré d’énormes fonds de pensions, et à un financement par les marchés plutôt que par les banques
    • mais les définitions de l’ISR sont très lâches : il suffit d’exclure un secteur comme le tabac ou l’alcool pour en faire partie.
    • Des pratiques originales sont présentes, liées à la culture locale, comme la tradition du « giving back », les dons à la communauté dans laquelle on vit, via les ONG locales notamment, la présence d’une forte influence religieuse dans les choix des fonds ISR, qui proviennent à l’origine de démarches religieuses
    • Enfin des initiatives législatives pour limiter les discriminations dans l’octroi du crédit avec le Community Reinvestment Act et le Fair Lending Act
  • Le marché européen :
    • Les marchés les plus dynamiques sont également ceux marqués par la retraite par capitalisation
  • Le marché japonais (« eco funds »):
    • Il est beaucoup moins dynamique en raison de la crise économique depuis les années 90, ainsi que des préoccupations moins fortes sur les normes sociales et environnementales ou des secteurs comme le tabac ou l’armement

 

Revue de presse d’avril 2015 – Finance éthique

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Ce mois-ci nous retenons en particulier :

Un entretien sur le fonds SFRE (« Saphir ») qui investira dans le capital de banques éthiques :

  • Nous avions parlé de son fonctionnement ici en mars
  • A noter les principaux critères du fonds :
    • Triple objectif : économique, social, environnemental
    • Forte intégration avec la communauté locale et ses besoins
    • Relation de long terme avec ses clients et dans l’analyse du risque
    • Performance économique récurrente et résiliente aux changements d’environnement externe
    • Gouvernance transparente et incluant les parties prenantes
    • Une culture d’entreprise intégrant ses principes
  • La transparence dans l’utilisation de l’argent n’apparaît pas ici, alors qu’elle est un des critères fondamentaux pour la finance éthique telle que nous l’avons définie

Mots-clés : Finance éthique, banque éthique, SFRE, GABV

La banque de l’église catholique, après les affaires de blanchiment, essaye de se tourner vers la finance éthique mais bute sur la définition des critères

  • La nouvelle direction, appuyée par le pape, souhaite se mettre en conformité avec les règles anti-blanchiment afin d’éviter de reproduire les problèmes des années précédentes (nous en parlions en avril 2014)
  • Le deuxième chantier concerne l’orientation des investissements : comment investir de manière éthique, en conformité avec les principes de l’église catholique ?
    • Il apparaît paradoxalement que cette institution pourtant culturellement habituée à édicter des normes n’arrive pas à le faire dans l’économie : « La difficulté, c’est que vous devez trouver des normes communes alors que l’Église catholique est très décentralisée et que, sur chaque produit, vous avez des opinions différentes au sein de l’Église. Il y a bien sûr un consensus sur le fait d’un investissement éthique mais si vous allez dans le détail… c’est un chantier en cours, il faut définir »

Mots-clés : Finance éthique, finance catholique, religion, valeurs, principes, définition, critères, IOR

La banque éthique Triodos publie son rapport d’engagement, qui répertorie ses actions de dialogue avec les entreprises cotées pour qu’elles changent leurs comportements

  • De nombreux exemples d’actions concrètes sur les OGM, les expérimentations animales, les économies d’eau

Mots-clés : engagement actionnarial, Triodos

Deux articles sur la régulation financière, qui se répondent :

Mots-clés : Finance éthique, régulation, goldman sachs, réforme bancaire, séparation

Des amendements à la loi sur la transition énergétique proposent un reporting plus détaillé sur les actions des entreprises concernant la transition et le changement climatique, avec notamment des analyses des portefeuilles d’actifs des banques et des objectifs de financement de l’économie décarbonée

Mots-clés : régulation, transition énergétique, loi

De nombreux articles de Novethic sur l’ISR (Investissement Socialement Responsable) et son lien avec le charbon et le changement climatique :

Une proposition pour valoriser des certificats carbone pour diminuer le coût des emprunts des sociétés lançant des projets bas carbone

  • Mécanisme : le prix du carbone serait fixé à l’échelle européenne (membres de la BCE), les tonnes de carbone évitées seraient certifiées par des experts indépendans, et les sociétés pourraient revendre ces certificats ce qui baisserait leur coût du projet
  • Commentaire: la proposition nécessite toutefois un accord politique européen sur le prix du carbone, ce qui semble difficile, et un accord politique pour que la BCE rachète les certificats, dans un contexte difficile lié à la crise de l’euro. La BCE demanderait ensuite aux Etats de racheter les certificats, ce qui devrait inciter ceux-ci à mettre en place une fiscalité verte pour pouvoir le faire.
  • Cela semble bien compliqué et le passage par l’accord politique à l’échelle européenne fait penser que cela ne verra jamais le jour. Il serait sans doute plus simple pour un Etat de lancer sa fiscalité verte et d’utiliser les montants pour investir ou aider directement les entreprises à investir dans les projets bas carbone, éventuellement en utilisant ce système mais à l’échelle nationale.

Mots-clés : régulation, incitation, certificat carbone, transition énergétique, fiscalité verte, BCE, prix carbone, politique

Le risque carbone se matérialise : l’ONG Carbon tracker pointe le fait que l’indice des sociétés cotées du charbon a chuté de 76 % sur cinq ans contre une hausse de l’indice industriel de 69 %, pour 3 raisons principales :

  • Gaz de schiste bon marché
  • Régulations destinées à améliorer la qualité de l’air
  • Baisse des coûts des énergies renouvelables
  • Commentaire : il est positif que l’intérêt financier des investisseurs s’aligne cette fois avec l’intérêt de l’humanité, mais le problème n’est alors que marginal (montrer à tous les investisseurs que c’est leur intérêt bien compris d’investir là où ils ne gênent pas l’intérêt général). Cela ne résout pas la question principale qui est de les inciter à « bien » investir quand leur intérêt est opposé à celui de l’humanité dans son ensemble.

Mots-clés : ISR, risque carbone, intérêt

L’assemblée générale des actionnaires de BP, un des plus gros pétroliers mondiaux, a voté une motion en faveur de l’évaluation du risque carbone

  • Cette motion, votée à 98% et par la direction, est très positive car elle montre qu’une campagne d’ONG sensibilisant les actionnaires institutionnels peut fonctionner.
  • Toutefois, la motion ne porte que sur la transparence sur des informations et ne fixe pas d’objectifs, et une fois encore, c’est l’alignement de l’intérêt des actionnaires qui a principalement favorisé son vote. Les grands actionnaires souhaitent éviter des pertes liées au risque carbone, le changement climatique ne les intéresse pas en dehors de quelques déclarations, à part si leurs décideurs (autorités politiques pour le fonds norvégien, adhérents pour le fonds de pension néerlandais ABP, etc.) le prennent en compte.

Mots-clés : ISR, risque carbone, changement climatique, ONG, BP, engagement actionnarial, intérêt

Une pétition pour qu’un des plus grands fonds de pension mondiaux, celui des fonctionnaires hollandais, se retire du secteur du charbon :

    • En raison du risque carbone tel que vu ci-dessus
    • Parce que les Pays-Bas et ses entreprises sont sous la menace directe du réchauffement climatique avec la montée du niveau des océans.
    • Le fonds a en réaction annoncé un infléchissement de sa politique d’investissement vers moins de charbon et plus de renouvelables

Mots-clés : ISR, risque carbone, ABP, Hollande

Les banques de développement, banques publiques d’aide au développement et institutions privées se réunissent pour mieux définir la finance climat, qui investit pour réduire les émissions de GES ( Gaz à effet de serre) :

  • Harmonisation de la définition
  • Augmentation de leurs investissements ayant un bénéfice pour le climat

Mots-clés : Changement climatique, banque développement, finance climat

Suite à la mobilisation d’ONG, les banques françaises refusent d’investir dans un énorme projet minier en Australie ayant des impacts environnementaux désastreux

Mots-clés : banques, ONG, campagnes, militantisme

Fiche de lecture : Finance éthique, de Michel Roux (deuxième partie)

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Nous continuons notre fiche de lecture de « Finance Ethique » de Michel Roux dont la première partie est ici.

Dans le chapitre 2, l’auteur aborde une partie historique. Il souligne notamment la méfiance et le contrôle des sociétés face à la finance depuis toujours :

  • Code Hammurabi, Babylone, VIIIème siècle avant Jésus Christ (A.J.C.). : présence d’une règlementation des commerçants et des banquiers
  • Inde, Kautilya, IVème siècle A.J.-C. : examen scrupuleux des transactions financières pour punir les usuriers
  • Durant l’antiquité, les grecs et les romains condamnent de même l’usure
  • Enfin les trois monothéismes le condamnent également :
    • Juifs : Deutéronome, « tu ne prêteras pas à intérêt à ton frère »
    • Thomas d’Aquin étend l’interdiction à toute plus-value apportée sans transformation : « l’homme qui achète un bien pour le revendre inchangé est comme les marchands qui furent chassés du Temple de Dieu »
    • Nouveau testament : « Il est plus facile à un chameau de passer par le chat d’une aiguille, qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu » (Marc 10, 25)

Néanmoins, une évolution apparaît avec Calvin (1509-1564) qui réalise une distinction entre prêt à la consommation, qui doit rester gratuit, et prêt à l’entreprise, qui, participant à la création de nouvelles richesses, peut donner lieu à une rémunération

  • Pour J. Le Goff, « la formidable polémique autour de l’usure constitue en quelque sorte « l’accouchement du capitalisme » »

L’apparition de l’économie industrielle crée un changement de paradigme : on passe de l’accumulation préalable à la dépense à l’accès au crédit. La monnaie devient porteuse de richesses à venir plutôt que résultats d’efforts passés.

Dans le monde moderne, une brève histoire de la finance éthique peut se résumer en 3 points :

  • Origine historique de l’investissement éthique chez les Quakers au XVIIIème siècle aux Etats-Unis d’Amérique (EUA)
  • Premier fonds institutionnel dans les années 20
  • Développement aux EUA avec l’apartheid en Afrique du Sud

Dans le monde non-occidental, la finance islamique apparaît à partir des années 40 avec les premières banques islamiques en Malaisie. Les pratiques bancaires excluent l’intérêt, en réalisant des montages faisant intervenir des frais de dossiers et des systèmes de locations au lieu de mensualités d’un crédit.

L’auteur précise également deux conceptions de la monnaie qui s’opposent :

  • Une vision plutôt libérale et évolutionniste : la monnaie est un bien ordinaire substituable par n’importe quel actif financier (coquillage, troc, or, monnaie électronique, etc.)
  • L’école française envisage la monnaie comme une institution sociale structurant les rapports sociaux économiques. La banque qui émet la monnaie est de facto un intermédiaire singulier et monopolistique

En conclusion, les religions et les autorités politiques sont passés de l’interdiction et de la règlementation très stricte de la finance à une attitude plus libérale, entraînant le développement du capitalisme. Mais depuis un siècle environ, un mouvement mondial apparaît pour redonner un sens non-économique aux flux financiers.

Fiche de lecture : Finance éthique, de Michel Roux (première partie)

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Un des premiers (et rares) livres portant sur la finance éthique en France, date de 2005, soit 10 ans. Etant moi-même en train d’en rédiger un, je vous propose de partager ma lecture de cet ouvrage de référence (« Finance Ethique : Structures, Acteurs, Perspectives », Revue Banque Editions). Michel Roux est maître de conférences et directeur de l’UFR de Sciences économiques et de Gestion à Paris XIII. Pour ceux qui souhaiteraient l’emprunter, étant donné qu’il est difficilement trouvable, j’ai un exemplaire à disposition.

Il définit dans son introduction les principaux termes du sujet :

  • Finance :
    • ensemble des professions qui ont pour objet l’argent et ses modes de représentation : la banque, l’assurance, les marchés financiers, l’argent, la monnaie sociale, l’épargne, le reporting et l’audit.
    • La finance a un rôle pivot dans l’allocation du capital entre les différentes activités économiques.
  • Morale :
    • Ensemble des règles d’action et des valeurs qui fonctionnent comme normes dans une société
    • Théories des fins (au sens d’objectifs) de l’action de l’homme. Elle exprime les principes
    • Les mêmes valeurs ne sont toutefois pas forcément partagées dans tous les pays.
  • Ethique :
    • Partie de la philosophie qui étudie les fondements de la morale. C’est l’ensemble des règles de conduite
    • Pour l’auteur, l’éthique se distingue du Développement Durable et de la RSE (Responsabilité Sociale des Entreprises) car elle est plus générale : ces notions ne sont que des déclinaisons concrètes.
    • L’éthique n’a pas de dogme mais prend position au cas par cas.
    • Elle s’oppose à la déontologie qui se cantonne à la légalité des activités.
    • Nous reviendrons dans un autre post sur la notion d’éthique qui ne nous semble pas suffisamment claire ci-dessus.

L’ouvrage est divisé en 3 parties :

  • Genèse et définition des concepts, penser responsabilité
  • Les principaux acteurs de la finance éthique
  • Les perspectives de la finance éthique

Le chapitre 1 est intitulé « Analyse de l’offre de la finance éthique. Essai de définition et poids économique ».

L’auteur expose d’abord l’émergence de nouvelles notions comme le développement durable de et la RSE. Il souligne notamment qu’avec  la RSE et les différentes chartes ou déclarations, il s’agit pour les entreprises d’agir volontairement au-delà des normes légales dans les domaines sociaux, économiques et environnementaux.

Ensuite, l’auteur décrit les différentes modalités de la finance éthique :

  • La finance responsable:
    • Placements socialement responsables
      • Fonds filtrés (forme la plus connue en France) prenant en compte des critères extra-financiers
      • Engagement actionnarial : exercer les droits des associés à la détention des titres pour exercer une influence sur les entreprises
    • Investissement socialement responsable (bizarrement, l’auteur utilise cette notion deux fois pour deux choses différentes, sauf erreur de notre part)
      • Capital développement « socialement responsable » contribuant au développement de nouvelles entreprises créatrices d’emploi ou concourant au respect de l’environnement (cas des fonds de travailleurs suédois et canadiens)
      • Contribution au financement de l’économie solidaire, via l’investissement dans des entreprises solidaires ou structures financières solidaires

L’Investissement Socialement Responsable (ISR)

  • S’appuie sur des critères extra-financiers qui s’ajoutent à l’analyse financière, sans abandonner la recherche d’une rentabilité financière.
  • 3 volets :
    • Fonds socialement responsables ou de développement durable croisant des critères sociaux et environnementaux avec des critères traditionnels et financiers pour l’analyse des grands groupes côtés
    • Fonds d’exclusion : plus répandus dans les pays anglo-saxons, ils se contentent d’exclure, pour des raisons morales ou religieuses, certains secteurs d’activité comme l’armement, le jeu, le tabac, l’emploi des enfants
    • L’engagement actionnarial, pour lequel les investisseurs vont exiger des groupes internationaux côtés, une orientation RSE à travers l’exercice des droits de vote ou l’amplification et la transparence des informations financières communiquées
    • Autres voies : label temporaire pour certains produits, par le Comité intersyndical pour l’épargne salariale

L’épargne solidaire

  • L’épargne solidaire finance des opérations solidaires qui ne trouvent pas de réponse dans les circuits financiers classiques (économie locale, insertion, micro-crédit, etc.)
    • Fonds de partage : ils permettent de rétrocéder une partie des bénéfices à des associations (minimum 25% pour bénéficier d’un allègement d’impôt)
    • Fonds solidaire « Loi Fabius » détenant 5% à 10% de titres d’entreprises solidaires
    • Produits d’épargne solidaire (surtout livrets, OPCVM, assurance-vie, carte Agir)

Nous reproduisons ici un tableau synthétique :

 

Catégories Mode de sélection Pratiques Critères Performances escomptées
Fonds éthiques et fonds socialement responsables Critères négatifs

Critères positifs

Exclusion des titres ne respectant pas les critères

Sélection sur la base de ceux qui respectent le mieux

Activisme actionnarial

Boycott

Benchmark

Introduction de données extra-financières

Plus-values financières

 

Plus-values citoyennes ou éthiques

Fonds solidaires Critères positifs orientés

Citoyenneté et/ou solidarité

Redistribution partielle ou totale du résultat

Vocation solidaire

Citoyenneté

Partage

Solidarité

Exclus des institutions conventionnelles

Rendement

 

Plus-value sociale

 

L’auteur poursuit par une description historique de l’éthique en finance.

  • Les activités financières, et plus particulièrement l’intérêt, ont depuis toujours été considérées comme immorales par nature.
  • Aujourd’hui, son utilité et la nécessité d’y recourir les ont rendues acceptables.
  • Le rôle de la finance éthique évolue, de critique du système capitalistique à garant de son bon fonctionnement.

Il cite les principales maximes éthiques, qu’il range en 3 phases :

  • L’éthique d’Aristote, décrite comme une discipline pratique portant sur l’action
  • Le passage d’une éthique de conviction à une éthique de responsabilité.
    • Précepte de Kant : « Agis toujours de telle sorte que la maxime de ton action puisse être érigée en règle universelle »
    • « l’éthique de la besogne » de Max Weber, qui représente l’intégration des valeurs humaines dans la sphère de l’action.
  • Une phase plus contemporaine avec :
    • Jonas : « Agis de façon que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement humaine sur terre et ne soient pas destructeurs pour la possibilité d’une telle vie »
    • Rawls : « Si, selon le principe d’égale liberté, chaque personne doit avoir un droit égal au système total le plus étendu, selon le principe de différence, des inégalités peuvent être justes s’il y a des compensations en plus pour les plus défavorisés. »
      • Il est dommage que l’auteur ne précise pas plus les termes de la pensée de Rawls, qui font référence à des éléments précis de sa philosophie.

Enfin, l’auteur termine sur quelques remarques :

  • Le poids économique de la finance éthique dans la finance (Nous rappelons que l’auteur écrit en 2005) est très faible, voire anecdotique pour les fonds solidaires
    • Pour les fonds ISR, les montants sont supérieurs à ceux de la finance solidaire mais leur composition est tellement proche des fonds non ISR qu’ils semblent être plutôt du « marketing financier »
    • Une forte augmentation de ces fonds a eu lieu à la fin des années 1990 avec l’arrivée d’acteurs bancaires majeurs

Revue de presse de décembre 2014 – Finance éthique

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Ce mois-ci nous retenons en particulier :

 

  • La loi ESS du 31 juillet 2014 crée 3 nouveaux modes de soutien à l’économie sociale et solidaire :
    • Le fonds d’investissement pour l’innovation sociale (Fiso) :
      • appels à projet des entreprises dont l’activité « répond à une demande nouvelle correspondant à des besoins sociaux non ou mal satisfait »
      • Lancé expérimentalement dans 8 régions d’ici fin 2014
      • Cofinancé par l’Etat et les régions, géré par Bpifrance
      • Capacité publique totale de 40 millions d’euros
      • Taille minimale du ticket d’investissement sera de 30 000 euros
    • Prêts spécifiques pour les entreprises sociales et solidaires (PESS)
      • A partir de janvier 2015 aux guichets des grands réseaux bancaires français
      • Montant de 20.000 à 50.000 euros, crédits garantis à 70% par la BPI
      • Une enveloppe de 50 millions d’euros par an est prévue dans ce cadre.
    • Fonds de fonds :
      • Capacité d’investissement en fonds propres dans les entreprises de l’ESS et les entreprises recherchant un impact social.
      • Tour de table initial autour de 50 millions d’euros pour un fonds d’investissement dans des coopératives, nommé « impact coopératif ».

 

Mots-clés : ESS, innovation, financement

 

 

Mots-clés : Finance éthique, morale, fraude, délits, banques, banksters, arbitrage légal, amendes

 

 

Mots-clés : Justice, Finance éthique, morale, fraude, délits, banques, banksters, amendes, BNP Paribas, Etats-Unis

 

 

  • Le fonds souverain norvégien alimente le débat sur le rôle des investisseurs financiers dans la transition énergétique à la suite de la publication d’un nouveau rapport
    • Le débat est structuré principalement entre :
      • ceux qui souhaitent exclure les entreprises des secteur du pétrole et du charbon des investissements possibles
        • soit pour des raisons d’intérêt général : cela permet de réduire et renchérir les sources de financement pour ces projets et donc les rendre moins intéressants que les investissements dans les énergies renouvelables
        • soit pour des raisons d’intérêt bien compris, comme l’assureur Storebrand, minoritaire aujourd’hui : ces acteurs considèrent qu’investir dans des projets à énergie fossile fait courir un « risque carbone », c’est-à-dire un risque financier important lié à la perte de valeur d’actifs polluants vu l’augmentation de leurs coûts et le développement de règlementations anti-polluantes et anti-réchauffement climatique
      • ceux qui souhaitent exclure uniquement les entreprises les plus polluantes de ces secteurs, mais ne pas exclure toute entreprise appartenant à ces secteurs
    • Le rapport émet plusieurs recommandations :
      • Opter pour la deuxième option, la non-exclusion de secteurs mais simplement des entreprises les plus polluantes
      • Le fonds doit pousser les entreprises, par son pouvoir d’actionnaire, à diminuer leurs émissions
    • Le fonds a par ailleurs annoncé vouloir investir dans des entreprises innovantes de la transition énergétique

 

Mots-clés : Finance éthique, Norvège, fonds souverain, transition énergétique, risque carbone, exclusion, best in class, charbon, pétrole, énergie

 

 

Mots-clés : Finance religieuse, religion, finance éthique, usure, Welby, Canterbury, Wonga

 

Revue de presse de novembre 2014 – Finance éthique

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  • La proposition de l’archevêque de Canterbury de créer une formation sur l’éthique pour les cadres de la finance
    • Destinée aux cadres de la finance âgés de 20 à 35 ans, il s’agit d’une année sabbatique au sein d’« une communauté quasi-monastique » pour apprendre l’éthique et la philosophie avant de se lancer dans la City.
    • « Le meilleur moyen de combattre le manque de confiance, c’est de dispenser aux jeunes banquiers une formation sur Dieu, l’éthique et les pauvres. »
    • Nous pensons que ces initiatives sont positives mais ont un effet très faible. En effet, les appels à la morale ont déjà été tentés de multiples fois avec des résultats inexistants. Souvenons-nous des appels à la morale et à la formation en éthique après la crise de 2001 et les affaires Enron ou Worldcom, regardons les nombreuses amendes portant sur des métiers très différents des banques, qu’elles soient américaines, européennes, japonaises ou d’ailleurs, après la crise de 2008 et les appels. De fait, depuis une dizaine d’années existent de nombreuses formations en éthique dans les business schools du monde entier, et les comportements n’ont pas changé. L’intérêt individuel semble bien primer, notamment dans ces professions et les types de population qui ont accès à ces métiers, sur toute autre considération. Ajouter un appel ou une formation à l’éthique ne changera selon nous pas grand-chose. Il faut d’ailleurs se demander si ces formations sont pertinentes (N’est-ce pas quelque chose que l’on apprend en famille et avec ses pairs durant l’enfance ? Commencer à 20 ans paraît déjà trop tard.)
    • Pour ceux qui souhaitent approfondir le sujet, nous leur conseillons le livre de Frédéric Lordon « Et la vertu sauvera le monde. Après la crise financière, le salut par l’éthique » (la crise mentionnée étant celle de 2001).

 Mots-clés : finance éthique, religion, philosophie

 

 

Mots-clés : innovation, immobilier, saisie, StayHome

 

 

 

Mots-clés : finance islamique, critique, religion

 

 

Mots-clés : finance verte, principes, critères, régulation, volontaire, certification, formels, définition

 

 

Mots-clés : charbon, finance verte,

 

 

Mots-clés : travail, finance éthique, finance solidaire, témoignages