Le fonctionnement concret d’une banque sans taux d’intérêt, la JÄK Bank

By 7 novembre 2017Etude de cas

Ceci est le troisième article de la série sur la banque sans taux d’intérêt, les premiers se trouvent ici (http://financeethique.eu/pourquoi-recevoir-ou-payer-des-interets/ et là http://financeethique.eu/banque-taux-dinteret-jak-bank/).

Le fonctionnement concret du système sans intérêt a connu plusieurs variantes. Nous nous concentrerons sur le système actuel.

Le fondement est que l’utilisation et le soutien au système doivent être équilibrés pour chaque personne :

  • On utilise le système en empruntant
  • On soutient le système en épargnant
  • A la fin du prêt, il faut donc avoir épargné autant que l’on a emprunté

Pour mesurer cet équilibre, un système à points a été créé :

  • Un point d’épargne est gagné à chaque fois qu’on dépose pendant 1 jour 1 couronne suédoise
    • Petite subtilité : ce dépôt donne droit à 1 point multiplié par une variable. Si la variable est à 1, alors on a bien un point, si elle n’est qu’à 0,8, on obtient que 0,8 point. Cette variable permet selon la Jäk de réguler l’équilibre entre offre et demande de prêt
  • L’épargnant bénéficie de la garantie sur ses dépôts comme toute banque suédoise. Il a accès à son argent via un espace de banque en ligne gratuit.

Concrètement,

  • Soit on épargne pendant plusieurs années et on accumule tous les points nécessaires à l’emprunt. Cela permet également de se constituer un apport.
  • Soit on n’a pas de points lorsqu’on demande un prêt, et alors on épargne en même temps que l’on rembourse : on a la mensualité “normale” qui rembourse le prêt initial, et on doit en plus verser une “épargne forcée”. Celle-ci est versée sur un compte épargne bloqué jusqu’à ce que l’on ait fini de rembourser le prêt
  • Soit des membres de la coopérative nous donnent des points pour que l’on puisse emprunter.
  • Ces 3 cas peuvent évidemment se mélanger : on dispose d’une partie des points nécessaires car on a un peu épargné auparavant, notre famille nous donne quelques points, et enfin on verse une épargne forcée chaque mois pour atteindre le nombre de points nécessaire à la fin du prêt.

Le processus d’analyse du crédit

L’octroi du crédit suit un processus classique. Il faut vérifier que l’emprunteur est membre de la JAK, qu’il est solvable (peut raisonnablement rembourser le prêt octroyé) et qu’il dispose de garanties (ex : caution, hypothèque).

Par rapport aux autres banques éthiques que nous avons étudié jusqu’ici, en particulier la Nef et Triodos, il n’y a pas de critères éthiques pour étudier la demande de prêt. La grande majorité des prêts sont faits à des particuliers pour des prêts immobiliers. Il pourrait y avoir des critères sur la consommation énergétique des habitations par exemple, mais ce n’est pas le cas.

Quel est le coût au final?

L’emprunteur doit :

  • souscrire 6% du montant du prêt en parts sociales de la coopérative, qui seront remboursables à la fin du prêt. Cela fonctionne comme le témoin d’une course de relais, chaque emprunteur prend un relais le temps de son emprunt puis le redonne à la fin.
    • Ceci est nécessaire afin que la banque ait suffisamment de capital par rapport à ses crédits, un ratio défini par les autorités bancaires.
  • Payer 150 couronnes de frais de dossiers, qui couvrent une partie des frais fixes (locaux, salaires, etc.) et variables (temps consacré à son dossier)
  • Payer un coût estimé à 1,5% du prêt chaque année, soit pour un prêt de 100 000 couronnes sur 10 ans, 1,5% * 100 000 * 10 = 15 000 couronnes
    • Pourquoi 0,015 ou 1,5% ? C’est empiriquement la valeur qu’a trouvé la JAK pour couvrir ses coûts. Cela permet aussi de faire payer différemment un grand prêt et un petit prêt, un prêt court et un prêt long. Si on divisait tous les coûts entre tous les prêts, cela ferait trop cher pour les prêts petits et courts
      • Cette manière de procéder est intéressante, les banques raisonnant plutôt en fonction du client (plus il est solvable / riche, moins il y a de risque de défaut et donc moins je lui fait payer). Mais cela peut entraîner un risque de sélection adverse ou antisélection, à savoir que les clients le plus solvables se verront proposer a priori un taux plus intéressant ailleurs, à l’inverse les clients les moins solvables auront des conditions de taux plus intéressantes à la JAK, et celle-ci se retrouvera avec des clients à risques.
        • Mais c’est un raisonnement purement économique : dans la réalité il y a un garde-fou qui est l’analyse du risque faite par la JAK (limitation des clients les moins solvables – ce qui pose alors le problème de l’accessibilité au crédit) et le fait que de nombreuses personnes ne réfléchissent pas uniquement sur le coût de leur emprunt mais réfléchissent plus globalement à ce que leurs actes financiers impliquent sur la société.
        • Concrètement cela donne un TEG (Taux d’emprunt global) à 3%. Un taux fixe, par définition, qui ne dépend pas du taux du marché. C’est donc parfois plus cher, parfois moins cher que les concurrents.
  • Payer un coût initial d’adhésion (une seule fois par personne) à la coopérative de 300 couronnes
  • Payer un coût annuel d’adhésion à la coopérative de 300 couronnes (gratuit pour les moins de 18 ans)
  • Offrir des garanties quant à sa solvabilité (ex : garantie sur son logement, famille ou amis se portant garants, etc.)

Au total, cela donne (la calculette sur le site est bien faite : https://jak.se/privat/lana/bolan) :

  • Remboursement mensuel :
    • 1 915
      • Dont 834 de remboursement du capital
      • Dont 247 d’intérêts
      • Dont 834 d’épargne bloquée jusqu’à la fin du prêt
  • Intérêts totaux au bout de 10 ans : 15 249
  • Epargne disponible à la fin du prêt : 100 080
  • Taux d’intérêt : 3%
  • Taux d’intérêt effectif (comprenant les frais de dossiers et la souscription de parts sociales) : 3,08%

Remarques finales

On voit d’ores et déjà qu’un défaut du système est cette épargne bloquée, car pour ceux qui n’ont pas épargné auparavant pour gagner des points ou reçu des points, cela peut représenter (au maximum) le même coût que la mensualité. Cela signifie concrètement une mensualité doublée, ce qui semble très compliqué puisque la plupart des acheteurs (du moins en France) s’endettent jusqu’à leur taux d’endettement maximum accepté par les banques, à savoir 33% de leurs revenus. La personne arrive à la fin avec une épargne équivalente au prêt qu’elle a contracté, 100 000 couronnes, mais c’est sûrement au prix de restrictions chaque mois.

Nous verrons dans le prochain article les résultats de cette banque : est-ce viable, et à quel prix? C’est une véritable aventure que je vous propose : plonger dans un rapport annuel bancaire en suédois sans en parler un mot et essayer d’en tirer quelques leçons!

Si cela vous intéresse, n’hésitez pas à poser vos questions dans les commentaires ou à m’envoyer des mails sur financeethique.eu@gmail.com

OLIVIER Torrente

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