Fiche de lecture : finance éthique, le grand malentendu, de Gaëtan Mortier (2)

 

 

 

Voici la deuxième partie de la fiche de lecture sur « Finance éthique, le grand malentendu » de Gaëtan Mortier. La première partie est disponible ici. Nous vous proposons une fiche de lecture en plusieurs parties, le contenu étant relativement long. Une fiche de lecture au format pdf sera proposée via la newsletter à la fin du mois, avec la revue de presse mensuelle.

Ce livre a été publié en 2013 dans la collection « Stimulo » par les éditions FYP, en collaboration avec l’Ecole ISG (Ionis Group). (Information : ce livre a été offert par Ionis Group)

Premier chapitre

La première sous-partie est intitulée « les origines de la finance éthique ». Gaëtan Mortier entreprend d’analyser d’abord la finance classique avant de s’intéresser à la finance éthique. La première sous-partie concerne la « finance et les systèmes de pensée ». Après un passage sur l’usure (passage de l’interdiction à la tolérance sur les prêts à intérêts au XVIème siècle suite à la Réforme), Gaëtan Mortier réalise un résumé très succinct sur quelques courants de pensée majeurs en économie : mercantilisme, physiocrates, théorie économique classique (A. Smith), critique de l’école classique, utilitarisme et libre-échange.

La deuxième sous-partie (intitulée « La libéralisation des marchés financiers ») continue ce cheminement en se concentrant sur la période des dernières décennies. Gaëtan Mortier soutient que la libéralisation des marchés financiers est intervenue suite aux succès des thèses de l’école de Chicago dans les pays développés. La dérégulation a été également exportée via le FMI et ses plans d’ajustement structurels. Cette dérégulation internationale s’est accompagnée d’une prise de pouvoir d’actionnaires financiers, dont l’objectif est la maximisation de leur gain, contrairement à un objectif industriel dans le capitalisme « fordien », composé d’actionnaires « entrepreneurs ». Cette activité financière génère de nombreuses externalités négatives, dont la spéculation. Il faut également noter que les banques ont une empreinte carbone indirecte, calculée par Stanislas Dupré, si l’on prend en compte les activités financées par celles-ci au lieu de financer la transition écologique par exemple. Si les activités polluantes se développent, c’est parce que les banques le choisissent.

La troisième sous-partie s’appelle « Spéculations et crises financières : la fin d’un modèle ». Gaëtan Mortier continue ses explications sur les dérives de la finance en examinant les cas de la titrisation, les règles de solvabilité des banques puis la rente bancaire liée au phénomène du « too big too fail ». Ainsi, les dirigeants des groupes bancaires prennent des risques excessifs car ils gagneront si leurs paris réussissent et qu’ils seront sauvés par les contribuables s’ils perdent. Après avoir décrit ces différents problèmes, Gaëtan Mortier se pose donc la question : la finance éthique peut-elle répondre à ces enjeux?

La dernière sous-partie aborde donc la finance éthique en elle-même (« Les formes de finance éthique »). Gaëtan Mortier propose une définition d’éthique. Ethos, en grec, désigne les habitudes et manière d’être d’une personne. La philosophie éthique répond elle à la question : comment agir au mieux, en fonction de ses propres valeurs? Le sens commun donne un sens personnel à l’éthique (mes valeurs) et collectif à la morale (les règles, la religion). Gaëtan Mortier précise ici qu’il retient cette dernière définition. Toutes les formes d’éthique ont des points communs comme la règle d’or : ne pas faire à autrui ce que l’on n’aimerait pas qu’il nous fasse.

Gaëtan Mortier décrit ensuite 3 grandes formes de finance éthique :

  • L’activisme actionnarial : user de son pouvoir d’actionnaire pour faire changer les choses
    • Pendant la guerre du Vietnam, le courant pacifiste aux Etats-Unis a boycotté Dow Chemical et Monsanto qui produisaient des armes chimiques
    • Un des premiers fonds d’investissement éthique (le South Africa Safe Equity) apparaît dans les années 80, en réaction à l’apartheid en Afrique du Sud
    • La finance islamique, qui encadre notamment l’usure, interdit l’alcool et limite le taux de profit en n’investissant pas dans les entreprises trop endettées.
    • L’Investissement Socialement Responsable
      • A l’origine, des mouvements protestants et quakers, au début du XXème, qui créent des fonds d’exclusions pour ne pas que leur argent finance des activités qu’ils jugent non conformes à leurs valeurs.
      • Le véritable déploiement de l’ISR s’est fait grâce au concept de développement durable dans les années 80 (World Wide Fund : Stratégie mondiale de la conservation, et sommet de Rio en 1992). La vision de R. Coase, affirmant que le marché est le meilleur outil pour régler les externalités, est choisie : c’est via une notation des entreprises sur des critères non financiers que l’on pourra aboutir à un système efficace pour créer un développement durable.

Commentaires sur le premier chapitre

Le résumé des dernières décennies offre une vision très marquée mais offre assez peu d’arguments. On suit le discours mais sans être convaincu, car celui-ci enchaîne des affirmations attribuant des responsabilités à des grands processus (libéralisation, déréglementation, etc.), et sans confronter les arguments de la ou des parties adverses. Cela est évidemment lié au style du livre, court et donnant une prise de position, mais cela reste dommage lorsqu’il s’agit de l’évolution de nos sociétés et de l’économie depuis plus de 30 ans.

Par ailleurs, on peut s’interroger sur l’histoire de la finance éthique proposée ici. Elle démarre en effet dans les années 70 (avec des origines au début du XXème siècle). Or cela laisse croire que la finance était auparavant un domaine réservé aux financiers, sans aucune intention autre que de maximiser le profit.

De nombreux ouvrages, comme celui de K. Polanyi (La Grande Transformation), montrent que l’économie a la plupart du temps été encastrée dans la société, et souvent subordonnée à d’autres objectifs, politiques, sociaux, culturels, religieux. L’interdiction du prêt à intérêt pendant plus de 15 siècles, par exemple, montre bien cette subordination de la finance sous des valeurs définies dans la société. C’est donc au contraire depuis relativement peu de temps que la finance s’est érigée en domaine indépendant, et orientée vers le profit pur et l’amoralité (c’est-à-dire aucune considération morale dans ses choix, que ce soit de faire le mal ou le bien). La finance éthique, au sens où il existe des motivations autres que le profit et l’intérêt individuel derrière les transactions, est donc bien plus ancienne. Il vaudrait donc sans doute parler de finance éthique moderne si l’on souhaite désigner les pratiques décrites dans le livre.

La suite de la fiche de lecture est disponible ici.

OLIVIER Torrente

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