Fiche de lecture : Finance éthique, de Michel Roux (troisième partie)

Nous continuons notre fiche de lecture de « Finance Ethique » de Michel Roux dont la première partie est ici et la deuxième là.

Le troisième chapitre et la conclusion de la première partie de l’ouvrage insistent sur la perte de repères et la demande de sens et de régulation dans un contexte de mondialisation et de dérégulation des 20 dernières années.

La deuxième partie de l’ouvrage traite des principaux acteurs de la finance éthique en France. Etant donné que l’ouvrage est daté, nous ne reprenons pas l’analyse avec les chiffres de l’époque.

L’auteur note que les acteurs remettent en cause la maximisation de la valeur actionnariale, mais il ne parle pas de remise en cause du pouvoir de l’actionnaire au détriment des autres parties prenantes. Il reprend la citation d’Amy Domini : « La manière dont nous investissons crée le monde dans lequel nous vivons » 

Parmi les acteurs, il distingue notamment deux démarches, les fonds de partage et les produits solidaires :

  • Démarche solidaire, avec les critères Finansol :
    • Soit 10% des encours doit être destiné au financement d’activités solidaires, le reste étant investi en Investissement Socialement Responsable.
    • Soit 25% au moins du revenu de l’épargne est destinée au financement d’activités solidaires
    • Soit les deux
  • Les fonds de partage redistribuent tout ou partie des revenus de placement (souvent des obligations) aux OIG (Organisations d’Intérêt Général) désignés :
    • Le gestionnaire cède une partie de sa marge
    • L’épargnant cède une partie de ses gains
    • Les deux participent

Selon l’auteur, la démarche solidaire (Finansol) est très différente de la démarche responsable (ISR) :

  • Dans la démarche solidaire :
    • le placement n’est pas une fin en soi, le but est extérieur (lutte contre l’exclusion, etc.), et
    • l’’épargnant renonce à tout ou partie des revenus qu’il produit.
  • Dans la démarche responsable, il n’y a pas de renoncement aux revenus et les finalités sont moins présentes, il s’agit plutôt de processus visant à sélectionner, responsabiliser et influencer les sociétés

Toutefois, cette distinction doit être précisée, car rien n’empêche un fonds ISR de proposer à ses investisseurs un mécanisme de partage des revenus du fonds. Concernant la « fin en soi », on peut également s’interroger :

  • Dans la démarche solidaire, on voit que 90% du capital investi va en ISR, donc la démarquer si nettement pour 10% d’investissement semble étrange.
  • De plus, en investissant dans une entreprise cotée pour ses meilleures performances sur l’écologie, le social ou la gouvernance, il y a bien un objectif fixé au-delà du placement, qui lui est extérieur.
  • A mon sens, la démarche solidaire décrite pas l’auteur est en réalité une amélioration de l’ISR, qui est en lui même mieux que l’investissement classique mais qui reste très critiquable, comme l’a notamment montré Gaëtan Mortier dans son ouvrage « Finance éthique : le grand malentendu » que nous avons chroniqué dans ce blog.
    • Ses critiques sont plus adaptés à des fonds de partage qui investiraient sans aucune prise en compte de comment les revenus partagés sont générés

Dans sa description des différents acteurs, l’auteur ajoute les « fonds éthiques » et l’engagement actionnarial. Ce dernier est intéressant et nous le retrouvons régulièrement dans notre revue de presse, il s’agit d’actionnaires qui demandent des comptes aux entreprises, dialoguent avec elles pour améliorer leurs pratiques, et votent et déposent des motions aux assemblées générales pour influencer concrètement ces changements.

En revanche, parler de « fonds éthiques » pour des fonds ISR qui excluent certains secteurs (par exemple l’armement, le pétrole, etc.) est une confusion, que nous avions également reproché à l’ouvrage de Gaëtan Mortier cité ci-dessus : si un fonds investissant dans des marchés financiers exclut des secteurs, il s’agit d’une méthode au sein de l’ISR, au même titre que le « best-in-class » qui n’exclut aucun secteur mais prend les meilleurs (ou moins pires) de chaque secteur, même dans le pétrole ou l’armement. On ne peut réduire la finance éthique à l’ISR, ne serait-ce que parce qu’il existe des banques éthiques dont l’activité n’est pas l’ISR.

L’auteur pointe la faible discrimination des fonds ISR, qui comprennent la plupart des sociétés du CAC 40 : leur utilité est donc faible s’ils ne font que copier l’indice majoritaire et officiel de la Bourse.

Ce tour d’horizon des acteurs français ne prend pas en compte, et c’est un comble, la Nef, (dont nous avions parlé ici) pionnière de la finance éthique depuis 1978 sous forme d’association et 1988 sous forme de société financière coopérative. La Nef et ses sociétaires ont produit de nombreux textes pour expliquer leur approche, notamment la transparence des crédits accordés par des institutions financière, afin que chaque déposant puisse exercer sa responsabilité sur son argent. Si on ne sait pas où il va, on ne peut pas décider si on est d’accord ou non avec son usage. Il ne parle pas non plus des Cigales dont nous avions parlé ici.

Enfin, Michel Roux réalise un tour d’horizon international :

  • Le marché des Etats-Unis
    • C’est le plus grand, lié notamment à la retraite par capitalisation qui a généré d’énormes fonds de pensions, et à un financement par les marchés plutôt que par les banques
    • mais les définitions de l’ISR sont très lâches : il suffit d’exclure un secteur comme le tabac ou l’alcool pour en faire partie.
    • Des pratiques originales sont présentes, liées à la culture locale, comme la tradition du « giving back », les dons à la communauté dans laquelle on vit, via les ONG locales notamment, la présence d’une forte influence religieuse dans les choix des fonds ISR, qui proviennent à l’origine de démarches religieuses
    • Enfin des initiatives législatives pour limiter les discriminations dans l’octroi du crédit avec le Community Reinvestment Act et le Fair Lending Act
  • Le marché européen :
    • Les marchés les plus dynamiques sont également ceux marqués par la retraite par capitalisation
  • Le marché japonais (« eco funds »):
    • Il est beaucoup moins dynamique en raison de la crise économique depuis les années 90, ainsi que des préoccupations moins fortes sur les normes sociales et environnementales ou des secteurs comme le tabac ou l’armement

 

OLIVIER Torrente

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